Les outils d’intervention de la Loi Habitat Dégradé
La loi visant l’accélération et la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé n°2024- 332 du 9 avril 2024 dite loi « habitat dégradé », apporte une série de réponses opérationnelles pour mieux protéger et accompagner les collectivités et la population face aux risques liés à la dégradation des immeubles. Ce texte s’articule autour de trois […]
La loi visant l’accélération et la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé n°2024- 332 du 9 avril 2024 dite loi « habitat dégradé », apporte une série de réponses opérationnelles pour mieux protéger et accompagner les collectivités et la population face aux risques liés à la dégradation des immeubles.
Ce texte s’articule autour de trois chapitres :
- Intervention en amont d’une dégradation définitive ;
- Accélérer les procédures de recyclage et de transformation des copropriétés et les opérations d’aménagements stratégiques ;
- Mesures diverses.
Concernant le volet « Copropriétés », si la gestion quotidienne d’une copropriété relève en principe de la sphère privée, les difficultés pouvant résulter d’une dégradation de celle-ci (insécurité, insalubrité, difficultés financières, marchands de sommeil…) deviennent alors un enjeu public.
C’est le constat auquel les pouvoirs publics parviennent depuis plusieurs années en raison de la dégradation flagrante de la gestion de certaines copropriétés (vieillissement des bâtiments, paupérisation des occupants ou des bailleurs, difficultés croissantes liées à la gestion collective, acteurs malveillants (les marchands de sommeil) et multiplication des situations d’urgence).
Face à ce constat, la Loi « habitat dégradé » offre des moyens d’actions importants en vue de privilégier le préventif sur le curatif :
- La nouvelle formule d’emprunt collectif au bénéfice du syndicat des copropriétaires pour financer les travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien des immeubles,
- Les outils renforcés au profit des pouvoirs publics : opération de restauration immobilière (ORI) à l’échelle d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, scission forcée de copropriétés dans les ensembles immobiliers trop vastes et impossibles à gérer, …
Concernant le volet « Habitat indigne », nous assistons, dans la continuité de l’Ordonnance n°2020-1144 du 16 septembre 2020, à un important renforcement des outils d’intervention publique de traitement de l’habitat dégradé. L’objectif est encore une fois d’intervenir plus en amont pour éviter in fine le recours aux dispositifs coercitifs et curatifs (démolition par exemple).
En complément du renforcement de la police administrative spéciale de lutte contre l’habitat dégradé et insalubre, les dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale sont également modifiées en vue de durcir les sanctions et peines complémentaires applicables aux propriétaires et bailleurs indélicats.
Les principales mesures issues de cette Loi sont résumées ci-après :
- L’article 4 introduit la possibilité pour toutes les copropriétés de souscrire un prêt collectif pour le financement de travaux essentiels et de rénovation énergétique.
Cette nouvelle formule de prêt est global, collectif, adossé aux lots et inclusif, apportant ainsi une réponse aux attentes exprimées depuis longue date.
Contrairement au régime précédent, le principe est inversé car chaque copropriétaire est réputé avoir accepté ce mode de financement des travaux. S’il veut refuser, il doit notifier son refus dans un délai de 2 mois et verser la totalité de sa quote-part dans un délai de 6 mois, le tout à compter de la notification du procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires.
Ce type de prêt, plus souple et plus rapide dans sa souscription, devrait permettre d’accélérer la mise en œuvre des programmes de travaux en permettant d’associer directement la décision de vote de ceux-ci à la mise en place d’une solution de financement pour l’ensemble de la copropriété.
Cette mesure concernera à la fois les copropriétés aidées par la puissance publique, mais également les copropriétés engagées dans une démarche d’entretien « classique » ou de performance énergétique.
Enfin, elle permettra aussi de lisser la charge de la réalisation des travaux sur plusieurs années afin de permettre aux copropriétaires de procéder plus facilement à l’entretien de leur immeuble.
Reste néanmoins à savoir quels seront les acteurs bancaires prêts à proposer cet emprunt collectif.
- L’article 9 crée une nouvelle procédure d’expropriation aux articles L 512-1 et suivants du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’expropriation des immeubles indignes à titre remédiable s’applique aux propriétaires de logements ayant reçu au moins deux arrêtés de péril ou d’insalubrité au cours des dix dernières années sans avoir totalement exécuté les prescriptions de ces arrêtés.
Avant l’intervention de la présente Loi, seule l’expropriation des immeubles frappés d’une interdiction définitive d’habiter ou d’un ordre de démolition, donc présentant un état de dangerosité et de délabrement avancé, était possible dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.
Conformément à l’Avis du Conseil d’Etat n°407663 du 7 décembre 2023, cette nouvelle procédure est conditionnée :
- A la carence persistante des propriétaires à exécuter les mesures prescrites antérieurement,
- A la nécessité de réaliser des mesures de prévention de la dégradation attestées par un rapport des services techniques ou un expert
- A l’obligation, pour les biens à usage d’habitation, de prévoir un plan de relogement ou d’hébergement en cas d’interdiction temporaire d’habiter.
- L’article 11 remet en cause, à titre expérimental et dérogatoire dans un objectif d’intérêt général, une constante du statut de la copropriété en admettant la dissociation au sein du lot de copropriété entre la partie privative et la quote-part de partie commune.
Une procédure d’expropriation expérimentale des parties communes telle que décrite à l’article L 615-10 du Code de la construction et de l’habitation pourra ainsi être mise en œuvre jusqu’en 2034 par un organisme HLM en tant qu’opérateur habilité dans les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) d’intérêt national ou non.
Pour ce faire, la commune ou l’EPCI en matière d’habitat pourra ainsi habiliter un opérateur, qui peut être notamment un organisme HLM à conclure avec le syndicat des copropriétaires, afin d’assurer la rénovation de la copropriété, une convention en vue de l’acquisition temporaire à titre onéreux :
- soit du terrain d’assiette de l’immeuble ;
- soit des parties communes et des équipements communs de l’immeuble.
Les modalités de la cession devront être fixées par une convention avec l’opérateur, qui permettra de définir :
- la durée maximale pendant laquelle l’opérateur sera investi des droits réels conférés par la propriété du terrain ou des parties communes ;
- les conditions de rachat du terrain ou des parties communes par les propriétaires. Le prix de revente ne pouvant pas excéder le prix d’acquisition par l’opérateur, tel qu’initialement établi par une évaluation du service des domaines et actualisé selon des modalités définies par décret (à paraître) ;
- les mesures et travaux de rénovation que l’opérateur s’engage à réaliser, ainsi que, le cas échéant, ses obligations en matière d’entretien ;
- un règlement pour l’usage des locaux et des équipements par les copropriétaires ;
- la redevance due par les copropriétaires à l’opérateur au titre de l’usage du terrain et des parties et équipements communs de la copropriété et des travaux réalisés aux fins de leur rénovation et de leur conservation, en rapport avec la superficie de leurs parties privatives.
Cette procédure spécifique ne s’applique que pour les copropriétés déclarées en état de carence et pour lesquelles un opérateur a été habilité à intervenir par la collectivité.
Par ailleurs, l’attractivité d’un tel dispositif devra être mise à l’épreuve économiquement au regard d’un bilan établi sur la base des travaux à entreprendre et de la redevance versée par les ménages.
- L’article 22 prévoit un élargissement des objectifs justifiant l’exercice du droit de préemption urbainen créant le nouvel article L. 211-2-4 du Code de l’urbanisme, lequel prévoit désormais expressément que le droit de préemption urbain peut être exercé en vue de la réalisation d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH), d’un plan de sauvegarde ou d’une opération de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD).
Dès lors, ce droit, lequel peut être délégué au titulaire de la concession d’aménagement ou de traitement des copropriétés dégradées, devient légalement un outil de lutte contre la dégradation de l’habitat.
- La mise en œuvre des permis de louer et de diviser est facilitée en vue notamment de lutter contre les marchands de sommeil. A ce titre :
- L’article 8 de la Loi crée un fondement juridique à l’exercice du droit de visite confié au président de l’EPCI ou au maire, dans le cadre de l’instruction du permis de louer. Si ce droit de visite existait, son exercice n’était pas clairement défini par les textes et cette évolution apparaît opportune.
- L’article 23 offre la possibilité aux maires de prononcer directement les amendes relatives aux infractions au permis de louer et permettre l’attribution du bénéfice de ces amendes aux communes ou EPCI compétents.
- L’article 33 instaure, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, la faculté pour le président de l’EPCI ou le maire de rejeter la demande de permis de louer. L’application au logement, et non à chaque locataire, des normes de décence pour les colocations à baux multiples, a permis à certains marchands de sommeil de procéder à des divisions informelles d’appartements. A ce titre, il convient de relever que la collectivité peut fixer désormais fixer des exigences de décence plus fortes que celles inscrites à l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 pour les colocations à baux multiples, justifiant le refus du permis de louer lorsque ces normes de décence ne sont pas respectées.
- L’article 13 prévoit la possibilité pour l’autorité compétente d’exécuter d’office des mesures, y compris l’éventuelle démolition, en cas de méconnaissance des règles d’urbanisme.
Pour mémoire, les articles L. 480-1 et suivants du Code de l’urbanisme prévoient, lorsque des travaux ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations d’urbanisme, que l’autorité de police compétente peut mettre en demeure le constructeur de procéder aux opérations nécessaires afin de régulariser la situation. Le contrevenant s’expose alors à une astreinte, s’il n’a pas satisfait à la mise en demeure et qu’un procès-verbal a été dressé (CU : L.480-1 et L.481- 1). Toutefois, ce dispositif pouvait s’avérer insuffisant à contraindre les propriétaires indélicats. Sur la base de ce constat, la loi fait évoluer le dispositif en permettant à l’autorité compétente, de faire procéder d’office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites dès lors que :
- Les travaux entrepris et exécutés ont produit des installations présentant un risque certain pour la sécurité ou la santé ;
- La mise en demeure est restée lettre morte au terme du délai imparti.
Surtout, l’autorité compétente peut également, sur autorisation préalable du Président du Tribunal judiciaire, procéder d’office à la démolition complète desdites installations, aux frais de l’intéressé dès lors qu’il n’existe aucun moyen technique permettant de régulariser les travaux entrepris ou exécutés.
- Un renforcement important des sanctions pénales encourues par les bailleurs contrevenants est créé par ce nouveau texte.
Le délit de soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indigne est désormais sanctionné d’une peine de sept ans d’emprisonnement encouru (cinq ans antérieurement) et d’une amende de 200.000 € (150.000 € antérieurement).
Par ailleurs, la peine complémentaire « d’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage total ou partiel d’hébergement ou d’être usufruitier d’un tel bien ou fonds de commerce » susceptible d’être prononcée à l’encontre des bailleurs reconnus coupables de l’infraction précitée peut désormais être prononcée pour une durée de quinze ans (dix ans antérieurement).
Enfin, et opportunément, les biens immobiliers confisqués aux marchands de sommeil peuvent désormais être mis à disposition, à titre gratuit, des collectivités territoriales compétentes. De même, la confiscation des indemnités d’expropriation prévue par l’article 131-21 du Code pénal est facilitée par la possibilité pour l’autorité expropriante d’avertir le procureur de la République de la date à laquelle il procédera au paiement ou à la consignation desdites indemnités d’expropriation envers un contrevenant mis en cause pour l’une des infractions prévues aux articles 225-14 du Code pénal, L. 511-22 et L. 521-4 du Code de la construction et de l’habitation.
- Dans les mesures diverses figurant au chapitre III de la loi, l’article 57 a ouvert le BRSA aux organismes HLM pour une uniformité de maîtrise d’ouvrage sur l’immeuble comportant des logements en BRS.
- Concernant les mesures propres à l’Outre-Mer, la loi vient modifier l’article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 dite « Loi Letchimy » en modifiant le délai offert pour ordonne au propriétaire la démolition de l’habitat informel. Alors qu’initialement la démolition devait être ordonnée dans les 24 heures suivant la constatation de l’édification des locaux ou installations informels, ce délai est porté à 96 heures.
De même, l’article 51 de la loi vient modifier les articles 771 à 775 et 2272 du Code Civil en prolongeant jusqu’en 2038 le régime dérogatoire mis en place par la loi n°2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer. A ce titre, la loi vient renforcer le dispositif permettant la sortie de l’indivision successorale par :
- La suppression de la possibilité pour un indivisaire omis de bonne foi de recevoir sa part en nature, pour ne conserver une compensation qu’en valeur ;
- L’application des articles 771 à 775 du Code Civil visant à obliger un héritier à accepter ou refuser la succession dans un délai de quatre mois aux successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 ;
- La réduction du délai pour l’application de la prescription acquisitive de 30 à 10 ans (Article 2272 du Code Civil)
Pour conclure, ces nouvelles dispositions viennent, d’une part, opportunément renforcer l’arsenal juridique préexistant en vue de protéger les occupants face aux risques de dégradations des copropriétés. D’autre part, le texte crée plusieurs dispositifs préventifs ou curatifs face au développement de l’habitat dégradé en permettant l’accélération et la simplification des actions de lutte contre la dégradation de l’habitat.