Droit de préemption et préservation de la ressource en eau destinée à la consommation humaine : le décret d’application est validé
Par une décision du 12 février 2024 (Conseil d’État, 1ère chambre, 12/02/2024, n° 468822, Inédit au recueil Lebon), le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n° 2022-1223 du 10 septembre 2022 relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine. Pour mémoire, l’article 118 […]
Par une décision du 12 février 2024 (Conseil d’État, 1ère chambre, 12/02/2024, n° 468822, Inédit au recueil Lebon), le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n° 2022-1223 du 10 septembre 2022 relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine.
Pour mémoire, l’article 118 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a institué un droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine (articles L. 218-1 et suivants du code de l’urbanisme).
L’article 191 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) a modifié l’article L. 218-3 du code de l’urbanisme afin :
- d’ajouter à la liste des titulaires de ce droit de préemption les syndicats mixtes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau ;
- de permettre au titulaire de ce droit de le déléguer à un établissement public local lorsque tout ou partie du prélèvement en eau utilisée pour l’alimentation en eau potable lui est confiée.
Par ailleurs, la loi 3DS a précisé les conditions dans lesquelles les biens préemptés pouvaient être mis à bail ou cédés de gré à gré.
- S’agissant de la location, la loi impose que les baux nouveaux comportent des clauses environnementales prévues au troisième alinéa de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime, de manière à garantir la préservation de la ressource en eau.
- S’agissant de la cession de gré à gré, la loi impose que l’acquéreur consente à la signature d’un contrat portant obligations réelles environnementales, au sens de l’article L. 132-3 du code de l’environnement.
Ainsi que le relève Jean-François Struillou : « En adoptant ces règles qui visent à garantir que le bien fasse l’objet d’une exploitation agricole » éco-compatible « , la loi réaffirme avec une certaine force un principe ancien »[1] selon lequel le bien préempté doit recevoir la destination répondant au motif d’intérêt général prévu par la décision de préemption, ce qui implique que lui soit donnée une affectation conforme aux dispositions législatives applicables.
Le décret d’application du 10 septembre 2022 précise les modalités selon lesquelles l’autorité administrative peut instituer ce droit de préemption, les aliénations qui sont lui soumises, la procédure applicable à son exercice et les règles régissant la cession, la location et à la mise à disposition temporaire des biens préemptés.
Saisi d’une requête tendant à l’annulation de ce décret, le Conseil d’Etat a d’abord écarté le moyen tiré de ce que les articles L. 213-1 à L. 213-14 du code de l’urbanisme portaient atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, sans renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par l’union requérante (Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 27/04/2023, n° 468822, Inédit au recueil Lebon).
Le Conseil d’Etat considère notamment que le législateur, en entendant préserver la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine, a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement[2].
La Haute juridiction estime que les modalités choisies par le législateur n’apparaissent pas manifestement inappropriées pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, quoique « les effets attachés aux préemptions demeurent tributaires du rythme des ventes de terres agricoles ainsi que des moyens financiers des collectivités titulaires du droit de préemption, et peuvent se trouver différés du fait du respect dû aux clauses des baux en cours »[3].
La circonstance que l’objectif que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies n’est, par ailleurs, pas de nature à permettre de regarder comme sérieux le moyen, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif[4].
En ce qui concerne la légalité interne du décret, l’union requérante faisait valoir qu’il ne garantissait pas le respect de l’objectif de préservation de la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine poursuivi par le législateur, au motif qu’il ne fixait pas les critères de sélection des candidats ni n’encadrait les conditions d’attribution des biens acquis en vertu de ce droit de préemption de façon suffisamment précise.
Le Conseil d’Etat relève que l’article R. 218-19 du code de l’urbanisme issu du décret attaqué prévoit que la mise à bail ou la cession d’un bien acquis par le titulaire du droit de préemption pour préserver la qualité des ressources en eau destinées à la consommation humaine fait l’objet d’un appel de candidatures précédé de l’affichage d’un avis. Le même article précise qu’en cas de mise à bail, cet avis énonce l’exigence d’un bail conforme aux dispositions de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime et énumère les clauses environnementales relatives aux mesures nécessaires à la préservation de la ressource en eau proposées et, en cas de cession, l’exigence d’un contrat portant obligations réelles environnementales et énumère les obligations réelles environnementales envisagées pour assurer la préservation de la ressource en eau.
La Haute juridiction en déduit que le choix de l’autorité administrative doit nécessairement se porter sur un candidat s’engageant à respecter les obligations environnementales figurant dans ce bail ou ce contrat et présentant des garanties propres à assurer le respect de ces obligations comme de l’objectif poursuivi par le législateur.
Le Conseil d’Etat observe ensuite que les modalités de publicité préalable à l’appel de candidatures ne sont pas manifestement insuffisantes pour garantir la correcte et adéquate information des candidats potentiels et rejette la requête.