Régularisation des DUP : le Conseil d’Etat encadre le contrôle des juges du fond

Par un arrêt du 29 mai 2024[1], mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat a complété sa jurisprudence en matière de régularisation d’une déclaration d’utilité publique[2].

L’affaire portée devant le Conseil d’Etat concerne le projet de réalisation de la section Est de l’avenue du Parisis, entre la RD 301 à Groslay et la RD 84a à Bonneuil-en-France, sur le territoire de plusieurs communes situées dans le Département du Val-d’Oise. Cette opération a été déclarée d’utilité publique par un arrêté du Préfet du Val-d’Oise en date du 25 avril 2016.

Cet arrêté a été attaqué devant le Tribunal administratif de Versailles, qui en a prononcé l’annulation, laquelle a été confirmée par la Cour administrative d’appel de Versailles. Le Conseil d’Etat a cependant annulé l’arrêt de la Cour et a renvoyé l’affaire devant celle-ci. De nouveau, la Cour a confirmé le jugement rendu par le Tribunal administratif de Versailles et a rejeté les conclusions du Département sollicitant un sursis à statuer afin qu’il procède à la régularisation du vice entachant la légalité de la déclaration d’utilité publique identifié en première instance, tenant à l’insuffisance de l’évaluation socio-économique.

Le Département du Val-d’Oise s’est de nouveau pourvu en cassation. Le Conseil d’Etat a admis les conclusions du pourvoi du département du Val-d’Oise dirigées contre l’arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles en tant que cet arrêt s’est prononcé sur ses conclusions tendant à ce que puisse être prise une mesure de régularisation de l’enquête publique en procédant à une information du public sur les conditions de financement du projet de réalisation de la section est de l’avenue du Parisis.

Premièrement, après avoir rappelé le considérant de principe en la matière qu’il a légèrement complété[3], le Conseil d’Etat a précisé que l’appréciation du juge du fond « tant sur le caractère régularisable du vice que sur la mise en œuvre de ce pouvoir ou sur la fixation du délai pour procéder à cette régularisation est souveraine, sous réserve du contrôle par le juge de cassation de l’erreur de droit et de la dénaturation ». En posant ce principe, le Conseil d’Etat, qui a suivi les conclusions du rapporteur public dans cette affaire, aligne sa jurisprudence en matière de régularisation de la DUP avec celle relative à régularisation d’une autorisation d’urbanisme[4]. En l’espèce, la Haute juridiction a considéré que la cour a commis une erreur de droit et que le Département requérant était ainsi fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué. Dans la mesure où l’affaire était portée pour la seconde fois en cassation, il appartenait alors au Conseil d’Etat de statuer définitivement au fond[5].

Deuxièmement, le Conseil d’Etat a précisé son office dans un tel contexte. S’il indique dans un premier temps qu’il lui appartient seulement, réglant l’affaire au fond, « de se prononcer sur les conclusions du département du Val-d’Oise tendant à ce qu’il soit sursis à statuer afin que puisse être prise une mesure de régularisation permettant de remédier à ce vice », il relève néanmoins que les juridictions du fond se sont uniquement prononcées sur le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude économique et sociale et qu’il lui appartient par conséquent, en application de la jurisprudence Commune de Grabels, « avant de rechercher si cette illégalité est susceptible d’être régularisée et, le cas échéant, de préciser avant dire droit les modalités d’une régularisation, de se prononcer sur le bien-fondé des autres moyens qui avaient été invoqués par les demandeurs de première instance et sur lesquels la cour administrative d’appel ne s’est pas prononcée. »

 Dans ces conditions, le Conseil d’Etat a examiné et écarté les moyens tirés de l’insuffisance de l’étude d’impact, de l’incompatibilité avec le schéma directeur de la région d’Ile-de-France et a réservé, du fait des vices entachant l’évaluation socio-économique, l’examen du moyen tiré de l’erreur d’appréciation de l’arrêté attaqué s’agissant de l’utilité publique à sa prochaine décision[6].

A l’issue de l’examen de ces moyens, le Conseil d’Etat a estimé que le vice tenant à l’insuffisance de l’étude économique et sociale s’agissant des modalités de financement du projet présentait un caractère régularisable et a fixé les modalités de régularisation suivantes : « Le vice entachant la légalité de l’arrêté litigieux peut être régularisé par une décision du préfet du Val-d’Oise confirmant l’utilité publique du projet, qu’il devra à nouveau apprécier après réalisation par le département du Val-d’Oise, auquel elle incombe en vertu de l’article R. 1511-7 du code des transports en sa qualité de maître d’ouvrage du projet, d’une analyse des conditions de financement du projet conforme à l’article R. 1511-4 du code des transports, le cas échéant comme il a été dit au point 18 par la mention dans l’évaluation économique et sociale d’un financement de l’intégralité du projet par le département du Val-d’Oise sur ses fonds propres, et la mise en œuvre d’une information et participation du public dans les conditions prévues par les dispositions citées au point précédent. »

Le Conseil d’Etat a fixé un délai de douze mois au Département afin de procéder à cette régularisation.

 

[1] Conseil d’État, 29/05/2024, n° 467449

[2] Conseil d’État, 09/07/2021, n° 437634 ; Conseil d’Etat, 21/07/2022, n° 437634 ; Conseil d’Etat, 11/12/2023, n° 466593

[3] « Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un arrêté déclarant d’utilité publique et urgents (DUP) des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d’occupation des sols et de plans locaux d’urbanisme, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, qu’il soit ou non saisi de conclusions en ce sens, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. »

[4] Conseil d’État, 28/12/2017, n° 402362

[5] Article L. 821-2 du code de justice administrative

[6] La réservation de l’appréciation du caractère d’utilité publique du projet à la seconde décision rendue à l’issue du sursis à statuer ayant été reconnue par la décision du Conseil d’Etat n° 465993 du 11 décembre 2023

La nomenclature des opérations soumises à évaluation environnementale a été modifiée

La nomenclature annexée à l’article R. 122-2 du code de l’environnement, fixant les catégories de projet soumis à évaluation environnementale systématique ou après un examen au cas par cas, a été modifiée par un décret n° 2024-529 du 10 juin 2024, publié au journal officiel le 11 juin 2024.

Quatre rubriques ont fait l’objet de modifications.

Tout d’abord, au titre de la rubrique 1, la rubrique 1 a) prévoit désormais que les élevages intensifs de volailles ou de porcs mentionnés par la rubrique 3660 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement ne sont plus soumis à évaluation environnementale systématique.

Également, la rubrique 1 e) fixe à présent des seuils à partir desquels les élevages intensifs mentionnés par la rubrique 3660 de la nomenclature des installations classés sont soumis à évaluation environnementale systématique :

« -de plus de 85 000 emplacements pour les poulets et 60 000 emplacements pour les poules ;

-de plus de 3 000 emplacements pour les porcs de production (de plus de 30 kg) ;

-de plus de 900 emplacements pour les truies. »

En outre, la rubrique 1 f) soumettant les projets de stockage géologique de CO2 soumis à autorisation mentionnés par la rubrique 2970 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l’environnement, exclu désormais les essais d’injection et de soutirage en formation géologique d’une quantité inférieure à 100 kilotonnes, lorsqu’ils sont réalisés pendant la phase de recherche. Ces essais sont néanmoins soumis à examen au cas par cas en application de la nouvelle rubrique 1 d) de la deuxième colonne.

La deuxième rubrique modifiée est celle relative aux forages en profondeur à l’exception des forages pour étudier la stabilité des sols. La rubrique 27 f) a été corrigée afin de remplacer la mention de l’article L. 112-3 du code minier par l’article L. 112-2 de ce même code, définissant les activités géothermiques de minime importance.

Le décret du 10 juin 2024 a par ailleurs fait évoluer la rubrique 44 relative aux projets d’équipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés. La rubrique 44 d) prévoit désormais que les équipements sportifs, culturels ou de loisirs et aménagements associés sont soumis à un examen au cas par cas dès lors qu’ils sont susceptibles d’accueillir plus de 1 000 personnes. Par conséquent, en-deçà de ce seuil, ces projets ne sont désormais plus soumis à examen au cas par cas (bien qu’ils sont toujours susceptibles d’être soumis à un tel examen en application de la clause filet).

Enfin, les « Opérations d’aménagements fonciers agricoles et forestiers mentionnées au 1° de l’article L. 121-1 du code rural et de la pêche maritime, y compris leurs travaux connexes. » visées à la rubrique 45, doivent désormais toutes faire l’objet d’un examen au cas par cas alors qu’elles étaient auparavant toutes soumises à évaluation environnementale systématique.

Cette nouvelle nomenclature est applicable aux projets pour lesquels la première autorité compétente pour autoriser le projet ou l’autorité chargée de l’examen au cas par cas sont saisies à compter de la publication du décret, c’est-à-dire depuis le 11 juin dernier.

 

par Mme Valentine Bosquet, juriste, TH AVOCATS

Les outils d’intervention de la Loi Habitat Dégradé

La loi visant l’accélération et la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé n°2024- 332 du 9 avril 2024 dite loi « habitat dégradé », apporte une série de réponses opérationnelles pour mieux protéger et accompagner les collectivités et la population face aux risques liés à la dégradation des immeubles.

 

Ce texte s’articule autour de trois chapitres :

  • Intervention en amont d’une dégradation définitive ;
  • Accélérer les procédures de recyclage et de transformation des copropriétés et les opérations d’aménagements stratégiques ;
  • Mesures diverses.

Concernant le volet « Copropriétés », si la gestion quotidienne d’une copropriété relève en principe de la sphère privée, les difficultés pouvant résulter d’une dégradation de celle-ci (insécurité, insalubrité, difficultés financières, marchands de sommeil…) deviennent alors un enjeu public.

C’est le constat auquel les pouvoirs publics parviennent depuis plusieurs années en raison de la dégradation flagrante de la gestion de certaines copropriétés (vieillissement des bâtiments, paupérisation des occupants ou des bailleurs,  difficultés croissantes liées à la gestion collective, acteurs malveillants (les marchands de sommeil) et multiplication des situations d’urgence).

Face à ce constat, la Loi « habitat dégradé » offre des moyens d’actions importants en vue de privilégier le préventif sur le curatif :

  • La nouvelle formule d’emprunt collectif au bénéfice du syndicat des copropriétaires pour financer les travaux de réparation, d’amélioration ou d’entretien des immeubles,
  • Les outils renforcés au profit des pouvoirs publics : opération de restauration immobilière (ORI) à l’échelle d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, scission forcée de copropriétés dans les ensembles immobiliers trop vastes et impossibles à gérer, …

Concernant le volet « Habitat indigne », nous assistons, dans la continuité de l’Ordonnance n°2020-1144 du 16 septembre 2020, à un important renforcement des outils d’intervention publique de traitement de l’habitat dégradé. L’objectif est encore une fois d’intervenir plus en amont pour éviter in fine le recours aux dispositifs coercitifs et curatifs (démolition par exemple).

En complément du renforcement de la police administrative spéciale de lutte contre l’habitat dégradé et insalubre, les dispositions du Code pénal et du Code de procédure pénale sont également modifiées en vue de durcir les sanctions et peines complémentaires applicables aux propriétaires et bailleurs indélicats.

Les principales mesures issues de cette Loi sont résumées ci-après :

  1. L’article 4 introduit la possibilité pour toutes les copropriétés de souscrire un prêt collectif pour le financement de travaux essentiels et de rénovation énergétique.

Cette nouvelle formule de prêt est global, collectif, adossé aux lots et inclusif, apportant ainsi une réponse aux attentes exprimées depuis longue date.

Contrairement au régime précédent, le principe est inversé car chaque copropriétaire est réputé avoir accepté ce mode de financement des travaux. S’il veut refuser, il doit notifier son refus dans un délai de 2 mois et verser la totalité de sa quote-part dans un délai de 6 mois, le tout à compter de la notification du procès-verbal de l’assemblée générale des copropriétaires.

Ce type de prêt, plus souple et plus rapide dans sa souscription, devrait permettre d’accélérer la mise en œuvre des programmes de travaux en permettant d’associer directement la décision de vote de ceux-ci à la mise en place d’une solution de financement pour l’ensemble de la copropriété.

Cette mesure concernera à la fois les copropriétés aidées par la puissance publique, mais également les copropriétés engagées dans une démarche d’entretien « classique » ou de performance énergétique.

Enfin, elle permettra aussi de lisser la charge de la réalisation des travaux sur plusieurs années afin de permettre aux copropriétaires de procéder plus facilement à l’entretien de leur immeuble.

Reste néanmoins à savoir quels seront les acteurs bancaires prêts à proposer cet emprunt collectif.

  1. L’article 9 crée une nouvelle procédure d’expropriation aux articles L 512-1 et suivants du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. L’expropriation des immeubles indignes à titre remédiable s’applique aux propriétaires de logements ayant reçu au moins deux arrêtés de péril ou d’insalubrité au cours des dix dernières années sans avoir totalement exécuté les prescriptions de ces arrêtés.

Avant l’intervention de la présente Loi, seule l’expropriation des immeubles frappés d’une interdiction définitive d’habiter ou d’un ordre de démolition, donc présentant un état de dangerosité et de délabrement avancé, était possible dans le cadre de l’exercice des pouvoirs de police de la sécurité et de la salubrité des immeubles, locaux et installations.

Conformément à l’Avis du Conseil d’Etat n°407663 du 7 décembre 2023, cette nouvelle procédure est conditionnée :

  • A la carence persistante des propriétaires à exécuter les mesures prescrites antérieurement,
  • A la nécessité de réaliser des mesures de prévention de la dégradation attestées par un rapport des services techniques ou un expert
  • A l’obligation, pour les biens à usage d’habitation, de prévoir un plan de relogement ou d’hébergement en cas d’interdiction temporaire d’habiter.
  1. L’article 11 remet en cause, à titre expérimental et dérogatoire dans un objectif d’intérêt général, une constante du statut de la copropriété en admettant la dissociation au sein du lot de copropriété entre la partie privative et la quote-part de partie commune.

 Une procédure d’expropriation expérimentale des parties communes telle que décrite à l’article L 615-10 du Code de la construction et de l’habitation pourra ainsi être mise en œuvre jusqu’en 2034 par un organisme HLM en tant qu’opérateur habilité dans les opérations de requalification des copropriétés dégradées (ORCOD) d’intérêt national ou non.

Pour ce faire, la commune ou l’EPCI en matière d’habitat pourra ainsi habiliter un opérateur, qui peut être notamment un organisme HLM à conclure avec le syndicat des copropriétaires, afin d’assurer la rénovation de la copropriété, une convention en vue de l’acquisition temporaire à titre onéreux :

  • soit du terrain d’assiette de l’immeuble ;
  • soit des parties communes et des équipements communs de l’immeuble.

Les modalités de la cession devront être fixées par une convention avec l’opérateur, qui permettra de définir :

  • la durée maximale pendant laquelle l’opérateur sera investi des droits réels conférés par la propriété du terrain ou des parties communes ;
  • les conditions de rachat du terrain ou des parties communes par les propriétaires. Le prix de revente ne pouvant pas excéder le prix d’acquisition par l’opérateur, tel qu’initialement établi par une évaluation du service des domaines et actualisé selon des modalités définies par décret (à paraître) ;
  • les mesures et travaux de rénovation que l’opérateur s’engage à réaliser, ainsi que, le cas échéant, ses obligations en matière d’entretien ;
  • un règlement pour l’usage des locaux et des équipements par les copropriétaires ;
  • la redevance due par les copropriétaires à l’opérateur au titre de l’usage du terrain et des parties et équipements communs de la copropriété et des travaux réalisés aux fins de leur rénovation et de leur conservation, en rapport avec la superficie de leurs parties privatives.

Cette procédure spécifique ne s’applique que pour les copropriétés déclarées en état de carence et pour lesquelles un opérateur a été habilité à intervenir par la collectivité.  

Par ailleurs, l’attractivité d’un tel dispositif devra être mise à l’épreuve économiquement au regard d’un bilan établi sur la base des travaux à entreprendre et de la redevance versée par les ménages.

  1. L’article 22 prévoit un élargissement des objectifs justifiant l’exercice du droit de préemption urbainen créant le nouvel article L. 211-2-4 du Code de l’urbanisme, lequel prévoit désormais expressément que le droit de préemption urbain peut être exercé en vue de la réalisation d’une opération programmée d’amélioration de l’habitat (OPAH), d’un plan de sauvegarde ou d’une opération de requalification de copropriétés dégradées (ORCOD).

Dès lors, ce droit, lequel peut être délégué au titulaire de la concession d’aménagement ou de traitement des copropriétés dégradées, devient légalement un outil de lutte contre la dégradation de l’habitat.

  1. La mise en œuvre des permis de louer et de diviser est facilitée en vue notamment de lutter contre les marchands de sommeil. A ce titre :
  • L’article 8 de la Loi crée un fondement juridique à l’exercice du droit de visite confié au président de l’EPCI ou au maire, dans le cadre de l’instruction du permis de louer. Si ce droit de visite existait, son exercice n’était pas clairement défini par les textes et cette évolution apparaît opportune.
  • L’article 23 offre la possibilité aux maires de prononcer directement les amendes relatives aux infractions au permis de louer et permettre l’attribution du bénéfice de ces amendes aux communes ou EPCI compétents.

 

  • L’article 33 instaure, à titre expérimental pour une durée de cinq ans, la faculté pour le président de l’EPCI ou le maire de rejeter la demande de permis de louer. L’application au logement, et non à chaque locataire, des normes de décence pour les colocations à baux multiples, a permis à certains marchands de sommeil de procéder à des divisions informelles d’appartements. A ce titre, il convient de relever que la collectivité peut fixer désormais fixer des exigences de décence plus fortes que celles inscrites à l’article 6 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 pour les colocations à baux multiples, justifiant le refus du permis de louer lorsque ces normes de décence ne sont pas respectées.
  1. L’article 13 prévoit la possibilité pour l’autorité compétente d’exécuter d’office des mesures, y compris l’éventuelle démolition, en cas de méconnaissance des règles d’urbanisme.

Pour mémoire, les articles L. 480-1 et suivants du Code de l’urbanisme prévoient, lorsque des travaux ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations d’urbanisme, que l’autorité de police compétente peut mettre en demeure le constructeur de procéder aux opérations nécessaires afin de régulariser la situation. Le contrevenant s’expose alors à une astreinte, s’il n’a pas satisfait à la mise en demeure et qu’un procès-verbal a été dressé (CU : L.480-1 et L.481- 1).  Toutefois, ce dispositif pouvait s’avérer insuffisant à contraindre les propriétaires indélicats. Sur la base de ce constat, la loi fait évoluer le dispositif en permettant à l’autorité compétente, de faire procéder d’office, en lieu et place de la personne mise en demeure et à ses frais, à l’exécution des mesures prescrites dès lors que :

  • Les travaux entrepris et exécutés ont produit des installations présentant un risque certain pour la sécurité ou la santé ;
  • La mise en demeure est restée lettre morte au terme du délai imparti.

Surtout, l’autorité compétente peut également, sur autorisation préalable du Président du Tribunal judiciaire, procéder d’office à la démolition complète desdites installations, aux frais de l’intéressé dès lors qu’il n’existe aucun moyen technique permettant de régulariser les travaux entrepris ou exécutés.

  1. Un renforcement important des sanctions pénales encourues par les bailleurs contrevenants est créé par ce nouveau texte.

Le délit de soumission de personnes vulnérables à des conditions d’hébergement indigne est désormais sanctionné d’une peine de sept ans d’emprisonnement encouru (cinq ans antérieurement) et d’une amende de 200.000 € (150.000 € antérieurement).

Par ailleurs, la peine complémentaire « d’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage total ou partiel d’hébergement ou d’être usufruitier d’un tel bien ou fonds de commerce » susceptible d’être prononcée à l’encontre des bailleurs reconnus coupables de l’infraction précitée peut désormais être prononcée pour une durée de quinze ans (dix ans antérieurement).

Enfin, et opportunément, les biens immobiliers confisqués aux marchands de sommeil peuvent désormais être mis à disposition, à titre gratuit, des collectivités territoriales compétentes. De même, la confiscation des indemnités d’expropriation prévue par l’article 131-21 du Code pénal est facilitée par la possibilité pour l’autorité expropriante d’avertir le procureur de la République de la date à laquelle il procédera au paiement ou à la consignation desdites indemnités d’expropriation envers un contrevenant mis en cause pour l’une des infractions prévues aux articles 225-14 du Code pénal, L. 511-22 et L. 521-4 du Code de la construction et de l’habitation.

  1. Dans les mesures diverses figurant au chapitre III de la loi, l’article 57 a ouvert le BRSA aux organismes HLM pour une uniformité de maîtrise d’ouvrage sur l’immeuble comportant des logements en BRS.
  2. Concernant les mesures propres à l’Outre-Mer, la loi vient modifier l’article 11-1 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 dite « Loi Letchimy » en modifiant le délai offert pour ordonne au propriétaire la démolition de l’habitat informel. Alors qu’initialement la démolition devait être ordonnée dans les 24 heures suivant la constatation de l’édification des locaux ou installations informels, ce délai est porté à 96 heures.

De même, l’article 51 de la loi vient modifier les articles 771 à 775 et 2272 du Code Civil en prolongeant jusqu’en 2038 le régime dérogatoire mis en place par la loi n°2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l’indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer. A ce titre, la loi vient renforcer le dispositif permettant la sortie de l’indivision successorale par :

  • La suppression de la possibilité pour un indivisaire omis de bonne foi de recevoir sa part en nature, pour ne conserver une compensation qu’en valeur ;
  • L’application des articles 771 à 775 du Code Civil visant à obliger un héritier à accepter ou refuser la succession dans un délai de quatre mois aux successions ouvertes avant le 1er janvier 2007 ;
  • La réduction du délai pour l’application de la prescription acquisitive de 30 à 10 ans (Article 2272 du Code Civil)

 

Pour conclure, ces nouvelles dispositions viennent, d’une part, opportunément renforcer l’arsenal juridique préexistant en vue de protéger les occupants face aux risques de dégradations des copropriétés. D’autre part, le texte crée plusieurs dispositifs préventifs ou curatifs face au développement de l’habitat dégradé en permettant l’accélération et la simplification des actions de lutte contre la dégradation de l’habitat.

 

Expropriation et propriétaire décédé : l’affichage en mairie ne suffit pas

Par un arrêt du 7 mars 2024[1], la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a rappelé le rôle du juge de l’expropriation en matière de transfert de propriété et plus particulièrement s’agissant de la vérification par ce dernier de l’accomplissement de l’ensemble des formalités prescrites par la loi, relatives à la recherche des propriétaires par l’autorité expropriante.

Après avoir visé les dispositions des articles R. 131-3, 2°, R. 131-6 et R. 221-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, la Cour de cassation indique qu’il résulte de ces dispositions que le juge de l’expropriation, est « tenu de vérifier que toutes les formalités prescrites par la loi ont été accomplies » et, par conséquent « doit refuser de prononcer le transfert de propriété lorsque l’autorité expropriante n’a pas justifié des formalités accomplies afin de rechercher les héritiers des propriétaires décédés antérieurement à l’arrêté de cessibilité ».

Ce principe étant rappelé, la Haute juridiction constate que l’ordonnance d’expropriation du juge de l’expropriation du Département du Var vise le certificat du maire de la commune sur laquelle était située la parcelle expropriée, lequel atteste de l’affichage en mairie de la notification de l’enquête parcellaire concernant un propriétaire auquel la notification n’avait pu être réalisée.

La Cour de cassation relève que l’expropriant avait pourtant connaissance du décès de ce propriétaire, lequel était survenu antérieurement à l’enquête parcellaire. Elle souligne également qu’aucune justification n’était apportée par l’expropriant concernant les recherches effectuées afin d’identifier les héritiers du propriétaire défunt. Dans ce contexte, la Cour considère que « la seule mention de recherches infructueuses sur le certificat d’affichage en mairie étant insuffisante pour en caractériser l’existence, le juge de l’expropriation a violé les textes susvisés. ».

L’ordonnance d’expropriation contestée est ainsi cassée et annulée en ce qu’elle déclare expropriée la parcelle du défunt.

Cette décision, qui s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation[2], permet de souligner l’importance que revêt la collecte et la recherche d’informations concernant les propriétaires de droits réels et héritiers éventuels des parcelles concernées par une procédure d’expropriation pour cause d’utilité publique, ainsi que la nécessité de conserver l’ensemble des preuves des diligences réalisées à cet effet. L’accomplissement de ces formalités dans le respect des dispositions du code de l’expropriation participe à garantir la sécurité juridique des projets déclarés d’utilité publique.  

 

 


 

 

[1] Cour de cassation, civile, Chambre civile 3, 7 mars 2024, 23-12.754
[2] Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 2 février 2005, 04-70.018, Publié au bulletin ; Cour de Cassation, Chambre civile 3, du 27 novembre 1991, 89-70.304, Publié au bulletin

Droit de préemption et préservation de la ressource en eau destinée à la consommation humaine : le décret d’application est validé

Par une décision du 12 février 2024 (Conseil d’État, 1ère chambre, 12/02/2024, n° 468822, Inédit au recueil Lebon), le Conseil d’Etat rejette la requête dirigée contre le décret n° 2022-1223 du 10 septembre 2022 relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine.

Pour mémoire, l’article 118 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a institué un droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine (articles L. 218-1 et suivants du code de l’urbanisme).

L’article 191 de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) a modifié l’article L. 218-3 du code de l’urbanisme afin :

  • d’ajouter à la liste des titulaires de ce droit de préemption les syndicats mixtes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau ;
  • de permettre au titulaire de ce droit de le déléguer à un établissement public local lorsque tout ou partie du prélèvement en eau utilisée pour l’alimentation en eau potable lui est confiée.

Par ailleurs, la loi 3DS a précisé les conditions dans lesquelles les biens préemptés pouvaient être mis à bail ou cédés de gré à gré.

  • S’agissant de la location, la loi impose que les baux nouveaux comportent des clauses environnementales prévues au troisième alinéa de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime, de manière à garantir la préservation de la ressource en eau.
  • S’agissant de la cession de gré à gré, la loi impose que l’acquéreur consente à la signature d’un contrat portant obligations réelles environnementales, au sens de l’article L. 132-3 du code de l’environnement.

Ainsi que le relève Jean-François Struillou : « En adoptant ces règles qui visent à garantir que le bien fasse l’objet d’une exploitation agricole  » éco-compatible « , la loi réaffirme avec une certaine force un principe ancien »[1] selon lequel le bien préempté doit recevoir la destination répondant au motif d’intérêt général prévu par la décision de préemption, ce qui implique que lui soit donnée une affectation conforme aux dispositions législatives applicables.

Le décret d’application du 10 septembre 2022 précise les modalités selon lesquelles l’autorité administrative peut instituer ce droit de préemption, les aliénations qui sont lui soumises, la procédure applicable à son exercice et les règles régissant la cession, la location et à la mise à disposition temporaire des biens préemptés.

Saisi d’une requête tendant à l’annulation de ce décret, le Conseil d’Etat a d’abord écarté le moyen tiré de ce que les articles L. 213-1 à L. 213-14 du code de l’urbanisme portaient atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, sans renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par l’union requérante (Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, 27/04/2023, n° 468822, Inédit au recueil Lebon).

Le Conseil d’Etat considère notamment que le législateur, en entendant préserver la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine, a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement[2].

La Haute juridiction estime que les modalités choisies par le législateur n’apparaissent pas manifestement inappropriées pour atteindre l’objectif qu’il s’est fixé, quoique « les effets attachés aux préemptions demeurent tributaires du rythme des ventes de terres agricoles ainsi que des moyens financiers des collectivités titulaires du droit de préemption, et peuvent se trouver différés du fait du respect dû aux clauses des baux en cours »[3].

La circonstance que l’objectif que s’est assigné le législateur aurait pu être atteint par d’autres voies n’est, par ailleurs, pas de nature à permettre de regarder comme sérieux le moyen, dès lors que les modalités retenues ne sont pas manifestement inappropriées à cet objectif[4].

 

En ce qui concerne la légalité interne du décret, l’union requérante faisait valoir qu’il ne garantissait pas le respect de l’objectif de préservation de la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine poursuivi par le législateur, au motif qu’il ne fixait pas les critères de sélection des candidats ni n’encadrait les conditions d’attribution des biens acquis en vertu de ce droit de préemption de façon suffisamment précise.

Le Conseil d’Etat relève que l’article R. 218-19 du code de l’urbanisme issu du décret attaqué prévoit que la mise à bail ou la cession d’un bien acquis par le titulaire du droit de préemption pour préserver la qualité des ressources en eau destinées à la consommation humaine fait l’objet d’un appel de candidatures précédé de l’affichage d’un avis. Le même article précise qu’en cas de mise à bail, cet avis énonce l’exigence d’un bail conforme aux dispositions de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime et énumère les clauses environnementales relatives aux mesures nécessaires à la préservation de la ressource en eau proposées et, en cas de cession, l’exigence d’un contrat portant obligations réelles environnementales et énumère les obligations réelles environnementales envisagées pour assurer la préservation de la ressource en eau.

La Haute juridiction en déduit que le choix de l’autorité administrative doit nécessairement se porter sur un candidat s’engageant à respecter les obligations environnementales figurant dans ce bail ou ce contrat et présentant des garanties propres à assurer le respect de ces obligations comme de l’objectif poursuivi par le législateur.

Le Conseil d’Etat observe ensuite que les modalités de publicité préalable à l’appel de candidatures ne sont pas manifestement insuffisantes pour garantir la correcte et adéquate information des candidats potentiels et rejette la requête.

 

 


 

 

[1] J.-F. Struillou. Le droit de préemption après la loi 3DS. Revue de droit immobilier. Urbanisme – construction, 2022, 4, pp. 209-21.
[2] Objectif dégagé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes.
[3] Point 6.
[4] Conseil constitutionnel, Décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000, Loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Pas d’indemnité pour les constructions irrégulières, même si l’infraction est prescrite

Cour de Cassation, 3ème Chambre Civile, 15 février 2024, n°22-16.460, Publié au bulletin

Conformément à la jurisprudence jusque-là habituelle, la Cour d’appel de Paris avait, dans un arrêt du 17 mars 2022, conditionné l’indemnisation d’un propriétaire au titre de la valeur d’un bâti édifié sans autorisation, à la prescription (ou non) de l’infraction pénale au titre du code de l’urbanisme.

Cette jurisprudence habituelle conduisait en pratique régulièrement à l’indemnisation de constructions irrégulières au seul motif de la prescription de l’infraction pénale.

Or, il est vrai que si la notion de prescription s’entend évidemment pour les poursuites pénales, elle s’articulait mal avec le principe selon lequel ne sont indemnisables que les seuls droits juridiquement protégés (voir Cass., 3ème Civ, 11 janvier 2023 n°21-23.792).

La Cour de Cassation dans son arrêt du 15 février 2024 modifie l’état du droit :

« 13. En statuant ainsi, après avoir constaté l’irrégularité de la construction édifiée sur une parcelle inconstructible, dont il s’évinçait que, même si toute action en démolition était prescrite, l’expropriée ne pouvait invoquer un droit juridiquement protégé dont la perte pourrait ouvrir droit à indemnisation, la cour d’appel a violé les textes susvisés »

Il résulte de ces éléments que les Juridictions de l’expropriation doivent écarter toutes demandes d’indemnisation au titre de constructions irrégulières, peu importe que l’infraction au code de l’urbanisme soit prescrite.

Espérons que cette position claire conduira les Juridictions de l’expropriation a cessé d’indemniser les bâtiments réalisés en toute illégalité en zones naturelles, conférant de ce fait à des terrains inconstructibles à préserver des valeurs parfaitement artificielles de « terrains d’agrément ».

 

 


 

Sauf délégation, le conseil municipal est compétent en matière de conventions d’occupation

Par une délibération du 16 octobre 2019, le conseil municipal de Clomot (du département de la Côte d’or) a autorisé son maire à conclure avec une société spécialisée dans l’exploitation de parcs éoliens une convention d’occupation et d’utilisation de plusieurs voies et chemins relevant du domaine public communal. La convention a été signée par le maire.

Par la suite, des tiers ont effectué un recours tendant à l’annulation de la délibération et de la convention d’occupation devant le tribunal administratif de Dijon, qui a logiquement décliné sa compétence au profit de celle de la Cour administrative de Lyon. Les cours administratives d’appel sont en effet compétentes pour les litiges relatifs aux autorisations d’occupation du domaine public consenties pour l’exploitation de parcs éoliens, en vertu du 13° de l’article R.311-5 du code de justice administrative.

La Cour administrative d’appel de Lyon ayant rejeté le recours, les tiers se sont pourvus en cassation.

Se posait la question de savoir si le maire était bien compétent pour conclure la convention d’occupation dont il s’agissait en l’espèce.

Le Conseil d’Etat rappelle classiquement que le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune et que le maire est chargé d’exécuter les décisions du conseil municipal sous son contrôle.

Il déduit de ces règles et des dispositions du 5° de l’article L.2122-22 du code général des collectivités territoriales que le maire n’est compétent pour décider la conclusion de conventions d’occupation du domaine public que s’il existe une délégation du conseil municipal et que la durée de la convention n’excède pas 12 ans.

En l’espèce, le Conseil d’Etat annule l’arrêt attaqué, la Cour administrative d’appel ayant considéré le maire compétent par principe. Or, la Cour n’avait pas vérifié la durée de la convention, ni la validité de la délégation confiée par le conseil municipal.

On relèvera que la qualification domaniale du bien importe peu dans les litiges relatifs à la répartition interne des compétences en matière d’occupation, l’article L.2122-22 du code général des collectivités territoriales faisant mention du « louage de choses », sans distinction (cf par ex.CE, 30 oct. 1996, n° 123638).

Cette décision confirme :

  • La compétence générale du conseil municipal en matière de conventions d’occupation, sauf délégation donnée au maire pour des conventions de moins de 12 ans ;
  • La compétence exclusive du maire en matière d’autorisation unilatérale d’occupation du domaine (cf par ex. CE, 18 nov. 2023, n°390461).

Alors que les règles de compétence sont essentielles, sous peine d’entrainer l’illégalité de certaines décisions (CE, 14 nov. 2001, n° 223572), il est permis de s’interroger sur cette distinction qui repose uniquement sur l’outil juridique utilisé (contrat ou titre unilatéral) et non sur la finalité de l’opération.

 

 


 

Droit de préemption commercial : Transposition des règles applicables en matière de droit de préemption urbain

Conseil d’État, 4ème Chambres réunies, 15 décembre 2023, n°470167, mentionné dans les tables du recueil Lebon

 

Le droit de préemption commercial a été créé par la loi du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises.

Ce droit de préemption est en pratique assez peu utilisé, compte tenu notamment de la difficulté pour les collectivités à préserver la viabilité des fonds préemptés et retrouver un cessionnaire dans les conditions du code de l’urbanisme. Monsieur JANICOT, rapporteur public sous l’arrêt commenté indique d’ailleurs que « seules 81 opérations avaient été réalisées en 2014 depuis l’entrée en vigueur du dispositif, pour 6 rétrocessions, et rien n’indique que ces chiffres auraient sensiblement augmenté depuis lors ».

Il aura donc fallu attendre décembre 2023 pour que le Conseil d’État soit enfin amené à se prononcer expressément sur les conditions d’exercice légal de ce droit de préemption.

Le Conseil d’État décide de transposer au droit de préemption commercial les exigences qui président à l’exercice du droit de préemption urbain. Il appartient donc à la collectivité de justifier :

  • De la réalité d’un projet d’action ou d’opération d’aménagement répondant aux objets mentionnés à l’article L. 300-1 du code de l’urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n’auraient pas été définies à cette date ;
  • De la nature du projet dans la décision de préemption ;
  • D’un intérêt général suffisant, qui s’apprécie « eu égard notamment aux caractéristiques du bien, en l’occurrence le fonds artisanal ou commercial ou le bail commercial, faisant l’objet de l’opération ou au coût prévisible de cette dernière »

Il s’agit ici d’une innovation jurisprudentielle. Auparavant l’exercice du droit de préemption commercial reposait sur la démonstration du fait que l’activité du cessionnaire envisagé ne répondait pas aux objectifs de sauvegarde des activités artisanales et commerciales de proximité (CAA Bordeaux, 12 juillet 2016, n°14BX03382, CE, 27 février 2017, n°403511).

Désormais, le titulaire du droit de préemption devra s’attacher à indiquer « la ou les activités commerciales ou artisanales qu’elle souhaite développer dans le périmètre, comme l’installation de commerces de bouche, de cafés, de restaurants, d’équipements de proximité ou de certains types de magasins » (selon les conclusions de Monsieur JANICOT).

En outre, le Conseil d’État considère en l’espèce que la simple référence à la délibération délimitant plusieurs périmètres de sauvegarde du commerce et de l’artisanat ne suffit pas à démontrer la réalité du projet et l’intérêt général suffisant.

Toutefois, Monsieur JANICOT retient qu’une référence à cette délibération aurait été suffisante si le contenu de celle-ci avait offert un niveau de détail important permettant d’établir un véritable programme de diversification et de développement du commerce de proximité.

 

 


 

Loi relative à l’industrie verte – L’expropriation d’un bien en état d’abandon manifeste (EAM) peut désormais permettre des implantations industrielles

La Loi n° 2023-973 relative à l’industrie verte a été promulguée le 23 octobre 2023 après son adoption définitive par le Parlement les 10 et 11 octobre 2023. Ce texte vise notamment à faciliter la réindustrialisation du territoire et la réhabilitation des friches et des sites industriels à l’arrêt.

Parmi les nouvelles dispositions, l’article 12 de la Loi vient insérer une mention à l’article L. 2243-3 du Code général des collectivités territoriales relatif à la procédure de déclaration en état d’abandon manifeste.

Désormais, la procédure d’expropriation dérogatoire des immeubles déclarés en état d’abandon manifeste peut viser la réalisation d’un projet de restauration, de rénovation ou d’aménagement de l’immeuble concerné en vue de l’implantation d’installations industrielles.

Cette évolution conforte l’utilité de la procédure d’expropriation simplifiée des biens en état d’abandon manifeste.

 

 


 

Régularisation d’une DUP : le Conseil d’Etat précise l’office du juge administratif

Par un arrêt du 11 décembre 2023[1], le Conseil d’Etat a de nouveau été conduit à se prononcer sur les contours de la procédure de régularisation d’un arrêté portant déclaration d’utilité publique, faculté consacrée par les arrêts Commune de Grabels[2].

 

Cette décision mentionnée aux Tables du Recueil Lebon comporte deux apports.

 

D’une part, le Conseil d’Etat précise que « la faculté de régularisation d’un arrêté déclarant d’utilité publique des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d’occupation des sols et de plans locaux d’urbanisme peut être mise en œuvre pour la première fois en appel ».

 

Sur ce premier point, les conclusions de Madame Pradines, rapporteure publique dans cette affaire, sont particulièrement éclairantes. Cette dernière rappelle en effet que la faculté de régularisation des arrêtés de DUP, construction prétorienne, est inspirée des mécanismes de régularisations prévus par les textes (voir notamment l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme matière d’autorisation d’urbanisme ou l’article L. 181-18 du code de l’environnement en matière d’autorisation environnementale). Toutefois, ni la décision Commune de Grabels précitée, ni les facultés de régularisation prévues par les textes concernant d’autres branches du droit (urbanisme ou environnement) ne s’opposent à la possibilité d’une régularisation au stade de l’appel[3]. La rapporteure publique en conclut que la faculté de mobiliser la régularisation en appel est intrinsèquement liée à l’effet dévolutif de l’appel et s’inscrit en cohérence avec l’objet et l’esprit de la procédure de régularisation.

 

D’autre part, l’arrêt précise que lorsque le juge administratif rend une première décision par laquelle il sursoit à statuer afin de permettre la régularisation d’un arrêté de DUP, il peut réserver la question de l’appréciation du caractère d’utilité publique de l’opération déclarée d’utilité publique, celle-ci étant alors opérée dans sa seconde décision.

 

Alors que l’arrêt de principe Commune de Grabels impose que le juge administratif ne sursoie à statuer dans l’attente de la réalisation des mesures de régularisation qu’après avoir constaté que les autres moyens de la requête ne sont pas fondés, cette décision du 11 décembre 2023 apporte une certaine souplesse à l’office du juge.

 

En effet, en l’espèce, la cour administrative d’appel avait constaté que les autres moyens n’étaient pas fondés mais avait cependant estimé que les lacunes de l’étude d’impact l’empêchaient d’apprécier l’utilité publique du projet et que « la réponse au moyen contestant cette utilité publique supposait de disposer des éléments complémentaires attendus de l’éventuelle régularisation ». Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat considère que la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit.

 

Le juge administratif dispose ainsi de la possibilité d’adapter, dans la limite des contours définis par la jurisprudence du Conseil d’Etat, son office en matière de régularisation d’un arrêté portant déclaration d’utilité publique, selon les faits qui lui sont soumis et en fonction des relations entre les moyens soulevés, circonstances propres à chaque contentieux

 

 


[1] CE, 11 décembre 2023, n° 466593
[2] CE 9 juillet 2021, n° 437634 et CE, 21 juillet 2022, n°437634
[3] CE, 18 juin 2014, Société Batimalo et autre, n° 376760 ; CE, 27 septembre 2018, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, n° 420119