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Pas de renonciation au droit de rétrocession en cas d’accord amiable sur les indemnités

Par un arrêt du 19 janvier 2022, la Cour de cassation précise qu’un propriétaire exproprié ne peut renoncer au droit de rétrocession dans le cadre d’un traité d’adhésion.

Pour rappel, le droit de rétrocession est prévu par l’article L. 421-1 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : si les immeubles expropriés n’ont pas reçu, dans le délai de cinq ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l’ordonnance d’expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d’utilité publique.

La Cour de cassation considère pour justifier da solution que « . L’exproprié peut renoncer au droit de rétrocession, qui relève de l’ordre public de protection, une fois celui-ci acquis. »

Ce droit ne peut être acquis tant que les conditions de sa mise en oeuvre ne sont pas réunies, soit cinq ans après l’ordonnance d’expropriation si les biens n’ont pas reçu la destination prévue par la déclaration d’utilité publique ou ont cessé de recevoir cette destination, soit, avant même l’expiration de ce délai, si le projet réalisé est incompatible avec celui déclaré d’utilité publique.

Au cas présent, à la date de signature du traité d’adhésion, en juin 2007, le droit de rétrocession du propriétaire, exproprié en septembre 2004 n’était pas encore né. Il ne pouvait dès lors y renoncer.

Pouvoirs des directeurs de parcs nationaux et activités commerciales

CE, 15 novembre 2021, n° 435662

Par une décision rendue le 15 novembre, le Conseil d’État a fait prévaloir une interprétation large des pouvoirs de police des directeurs de parcs nationaux, l’élargissant à des autorisations d’activités commerciales.

En l’espèce, une société était autorisée depuis 2012 à exercer des activités de Kayak et ce par le directeur du Parc national de la Guadeloupe. L’activité concernait également la pratique de randonnée subaquatique,  ainsi qu’une activité de balade via des bouées sur le site des îlets Pigeon à Bouillante, classé en cœur du parc national.

A la suite de plusieurs infractions commisses par la société, notamment pour avoir pratiqué certaines activités dans des conditions non conformes aux prescriptions de l’arrêté du directeur du parc, ce dernier décida d’abroger son précèdent arrêté.

Ce nouvel arrêté, pris le 17 février 2017, réduit notamment la fréquence des randonnées subaquatiques tout en supprimant l’autorisation de pratique l’activité de bouée tractée.

Afin de casser l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris (CAA Paris, 30 juillet 2019, n° 17PA23609), le Conseil d’État s’est fondé sur les articles L. 331-1 et L. 331-4-1 du code de l’environnement ainsi que sur l’article 13 du décret n° 2009-614 du 3 juin 2009 et du II de la modalité 20 de l’annexe 2 de la charte de territoire du parc national de la Guadeloupe qui régit le pouvoir de police spéciale dont dispose, dans le coeur du parc national, le directeur du parc « pour autoriser et réglementer les activités commerciales nouvelles ou les changements de localisation ou d’exercice d’activités existantes, dans le but d’assurer le développement de la faune et de la flore et de préserver le caractère du parc national. Et ce, « alors même que l’arrêté en litige est intervenu à la suite de plusieurs infractions commises par la société XX qui avait pratiqué certaines des activités pour lesquelles elle bénéficiait d’une autorisation dans des conditions non conformes aux prescriptions fixées par l’arrêté du directeur du parc national, celui-ci, en modifiant cet arrêté pour encadrer plus strictement les activités autorisées de la société dans le cœur du parc, a entendu assurer une protection effective de la faune et de la flore protégées face à des pratiques de nature à leur causer des dommages ».

Nous comprenons ainsi que le directeur du parc national de la Guadeloupe dispose d’un pouvoir de police spéciale pour autoriser et réglementer les activités commerciales nouvelles ou les changements de localisation ou d’exercice d’activités existantes, dans le but d’assurer la préservation de la faune et de la flore et de préserver le caractère du parc.

Par Hugo Vangrevelynghe

Publication du Traité de l’expropriation 2021

La location d’un bien du domaine privé à une personne privée (CE, 28 sept. 2021)

La location des dépendances du domaine privé des personnes publiques à vil prix conditionnée par l’intérêt général et l’existence des contreparties suffisantes

 

CE, 28 septembre 2021, n° 431625

 

Le Conseil d’Etat a apporté des précisions sur les conditions dans lesquelles une personne publique peut louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien.

 

En l’espèce, un Centre Communal d’Actions Sociales (C.C.A.S) avait conclu un contrat de location de locaux professionnels avec une personne physique, exerçant la profession de masseur-kinésithérapeute. Un groupe de professionnels avait par la suite saisi le Tribunal administratif en vue de faire annuler la décision de signer le contrat de location, annulation qu’ils ont obtenue. Cette décision a été confirmée par la Cour administrative d’appel, dans un arrêt contre lequel le C.C.A.S a formé un pourvoi en cassation.

 

Dans un considérant de principe, le Conseil d’Etat a jugé qu’« une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes » (cf. considérant n° 3 de l’arrêt).

 

Le principe, qui se justifie par la règle jurisprudentielle selon laquelle une personne publique ne peut consentir des libéralités (CE, 6 déc. 2002, n°249153), est clairement établi : une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins d’intérêt privé pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien.

 

Néanmoins, il peut être dérogé à ce principe quand deux conditions sont satisfaites : d’une part, la location doit être justifiée par un (ou plusieurs) motif(s) d’intérêt général et d’autre part, elle doit comporter des contreparties suffisantes.

 

La Haute Juridiction a ensuite décliné cette solution de principe au cas de l’espèce en jugeant :

 

  • tout d’abord, que la Cour n’avait ni dénaturé les pièces du dossier, ni insuffisamment motivé son arrêt, ni commis d’erreur de droit en relevant que, compte tenu du loyer moyen au mètre carré versé par d’autres professionnels de santé pour des locaux situés dans la commune et des travaux de rénovation du local en litige financés par le C.C.A.S, les conditions du bail conclu avec le masseur-kinésithérapeute étaient plus favorables que celles du marché ;

 

  • ensuite, que la Cour n’avait commis aucune erreur de droit ni aucune de qualification juridique en jugeant que la location du bien pour un loyer inférieur à sa valeur locative n’était pas justifiée par un motif d’intérêt géné A l’appui de sa position, la Cour avait relevé que le bail en litige avait été conclu en vue de favoriser l’installation d’un masseur-kinésithérapeute dans la commune alors que cette dernière ne faisait pas partie des zones, déterminées par le directeur général de l’agence régionale de santé pour lesquelles l’offre de soins était insuffisante.

 

Par conséquent, le Conseil d’État considère qu’une personne publique ne peut légalement louer un bien à une personne poursuivant des fins privées pour un loyer inférieur à la valeur locative de ce bien, sauf si cette location est justifiée par des motifs d’intérêt général et comporte des contreparties suffisantes.

Un nouveau droit de préemption pour répondre à l’érosion littorale

La loi n°2021-1104 du 22 août 2021 (JO 24 août) crée un nouveau droit de préemption afin d’adapter les territoires au recul du trait de côte.

Ce droit de préemption sera institué dans des zones délimitées par le PLU des communes littorales retenues dans une liste qui sera fixée prochainement par décret.

Le texte opère une distinction entre les zones exposées à un recul du trait de côte inférieur à 30 ans dans lesquelles le droit de préemption s’appliquera automatiquement et ce sur l’ensemble de la zone (L. 219-1, alinéa 4), et les zones exposées à un recul du trait de côte plus lointain d’ici 30 à 100 ans dans lesquelles le droit pourra être instauré par la commune littorale ou l’EPCI sur tout ou partie du périmètre défini par le PLU (L. 219-1, alinéa 5).

La procédure de préemption est très similaire à celle du DPU et du DP ZAD: déclaration d’intention d’aliéner, visite du bien, demande de renseignements, transmission de la DIA au service des Domaines pour estimation, etc. (L. 219-6)

Le nouvel article L. 219-7 du Code de l’urbanisme prévoit toutefois qu’à défaut d’accord amiable, la juridiction compétente en matière d’expropriation fixe « le prix d’acquisition en tenant compte de l’exposition du bien au recul du trait de côte ». Un droit de délaissement est par ailleurs prévu au bénéfice du propriétaire.

Le bien préempté ou délaissé devra être géré « au regard de l’évolution prévisible du trait de côte » et faire l’objet d’une renaturation. Préalablement à cette renaturation, le bien pourra, temporairement, être occupé au travers d’une convention ou d’un bail et même faire l’objet d’aménagements temporaires.

Ce droit de préemption concernera les cessions d’immeubles et de parties d’immeubles, de droits indivis ou de parts de SCI, mais aussi les apports en nature au sein d’une SCI et les donations d’immeubles ou d’ensembles de droit sociaux.

À l’intérieur de ces zones de préemption, le droit de préemption urbain (DPU), le droit de préemption dans les ZAD et le droit de préemption commercial ne s’appliquent pas (L. 219-1, alinéa 6). Seul le droit de préemption dans les espaces naturels sensibles prévaut sur ce nouveau droit de préemption (L. 219-1, alinéa 7).

Enfin, le droit de préemption « peut s’exercer en coopération » avec les SAFER sur les terrains à usage ou à vocation agricoles et sur les bâtiments d’exploitation agricole.

Par Hugo Vangrevelynghe

DECIDEURS JURIDIQUES

Périmètre de préemption en ENS : fin de la carence législative !

La loi Climat et Résilience corrige l’erreur de l’ordonnance du 23 septembre 2015 et confirme la validité des périmètres de préemption ENS créés par l’Etat avant la décentralisation de la compétence aux Départements.

1. Avant les lois de décentralisation, la politique de protection des espaces naturels sensibles (ENS) relevait essentiellement de la compétence de l’Etat. A cet égard il appartenait aux préfets de créer des périmètres de préemption dédiés aux espaces naturels sensibles. Ces périmètres permettent l’acquisition publique d’un bien situé en périmètre de préemption par substitution de l’acquéreur initial.

2. Le dispositif législatif relatif aux ENS a été modifié à la suite des lois de décentralisation et la compétence en la matière a été confiée aux départements avec la loi du 18 juillet 1985.

Les périmètres de préemption crées par les préfets avant cette loi demeuraient cependant valables, et les départements étaient habilités par la loi à exercer le droit de préemption sur de tels périmètres.

L’article L.142-12 du code de l’urbanisme prévoyait que :

« Le droit de préemption prévu à l’article L.142-3 dans sa rédaction issue de la loi susvisée s’applique dès l’entrée en vigueur du présent chapitre à l’intérieur des zones de préemption délimitées en application de l’article L.142-1 dans sa rédaction antérieure ».

3. Cependant, cette habilitation a été supprimée lors de la recodification du code de l’urbanisme par l’ordonnance du 23 septembre 2015. Dans le cadre de cette recodification, les dispositions de l’article L.142-12 du code de l’urbanisme n’ont pas été reprises, semble-t-il par erreur, puisqu’il s’agissait en principe d’une recodification à droit constant.

4. Or, par un avis du 29 juillet 2020, le Conseil d’Etat a mis en exergue cette carence et a considéré en conséquence que les périmètres de préemption en ENS crées avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 1985 sont caducs : « cette ordonnance a abrogé (…) la partie législative du livre Ier du code de l’urbanisme dans sa rédaction antérieure, sans reprendre les dispositions de l’article L.142-12 ».

La carence législative caractérisée par le Conseil d’Etat dans son avis du 29 juillet 2020 impliquait de lourdes conséquences pour la politique de protection des ENS. Ainsi, les décisions de préemption prises après le 1er janvier 2016 au titre des périmètres crées avant le 1er janvier 1986 étaient irrégulières, les titulaires du droit de préemption en ENS (ou les personnes intervenant par substitution ou délégation) n’étaient plus habilités à exercer le droit de préemption sur des périmètres crées avant le 1er janvier 1986.

5. Une intervention du législateur était donc attendue.

C’est chose faite avec la loi dite Climat et Résilience du 22 août 2021.

Au titre du droit de préemption en ENS, le texte adopté définitivement prévoit :

«  (AN1) Article 233-57

  1. I. – La sous-section 1 de la section 2 du chapitre V du titre Ier du livre II du code de l’urbanisme est complétée par un article L. 215-4-1 ainsi rédigé :

« (…) Les actes et conventions intervenus dans les conditions prévues par la législation antérieure à la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 précitée demeurent valables sans qu’il y ait lieu de les renouveler.

II. – Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, sont validées les décisions de préemption prises entre le 1er janvier 2016 et l’entrée en vigueur du présent article, en tant que leur légalité est ou serait contestée par un moyen tiré de l’abrogation de l’article L. 142-12 du code de l’urbanisme par l’ordonnance n° 2015-1174 du 23 septembre 2015 relative à la partie législative du livre Ier du code de l’urbanisme ».

Ainsi, cette régularisation législative est synonyme du rétablissement de la validité des périmètres de préemption créés avant la loi du 18 juillet 1985 et la validation législative des décisions de préemption prises depuis le 1er janvier 2016.

Servitude de droit privé sur le domaine public : Compétence du Juge Judiciaire

Tribunal des conflits, 5 juillet 2021, n°4218

Le tribunal des Conflits considère que les litiges relatifs à l’exercice d’une servitude conventionnelle de droit privé grevant un bien du domaine public, relèvent de la compétence du juge judiciaire.

En l’espèce, il s’agissait d’une servitude conventionnelle d’alimentation en eau par canalisation souterraine sur des parcelles appartenant au domaine public routier d’une commune, consentie antérieurement à l’incorporation de ces parcelles dans le domaine public.

Le Tribunal des conflits énonce qu’« il résulte des principes de la domanialité publique qu’une servitude conventionnelle de droit privé constituée avant l’entrée en vigueur du code général de la propriété des personnes publiques peut être maintenue sur une parcelle appartenant au domaine public à la double condition d’avoir été consentie antérieurement à l’incorporation de cette parcelle dans le domaine public, lorsque cette incorporation est elle aussi antérieure а l’entrée en vigueur du code, et d’être compatible avec son affectation ».

Par conséquent, le Tribunal des conflits rappelle la jurisprudence du Conseil d’Etat sur les conditions de maintien d’une servitude conventionnelle de droit privé établie préalablement à l’entrée en vigueur du CGPPP sur une parcelle appartenant au domaine public (CE, 26 février 2016, n°383935).

Remerciements à Hugo Vangrevelynghe-Rivet

Le CE autorise la régularisation des DUP emportant mise en compatibilité !

Conseil d’État, 9 juillet 2021, 437634

Par arrêté du 9 mars 2015, le préfet de l’Hérault a déclaré d’utilité publique les travaux portant sur la nouvelle section de la liaison intercantonale d’évitement nord (LIEN) et a approuvé la mise en compatibilité des plans d’occupation des sols des communes de Combaillaux, Saint-Clément de Rivière et Saint-Gély-du-Fesc et des plans locaux d’urbanisme des communes de Grabels et de Les Matelles.

Cet arrêté a été contesté. Les requérants invoquaient l’irrégularité de l’avis rendu par l’autorité environnementale (indépendance par rapport à l’autorité chargée d’autoriser la réalisation du projet). En effet, la DUP autorisant les acquisitions et travaux avait été signée par le préfet de région qui avait rendu l’avis au titre de l’article R. 122-6 du code de l’environnement alors applicable.

Dans ces conditions, l’avis était irrégulier et la procédure entachée d’illégalité (CE 20 septembre 2019, n°428274).

L’issue du contentieux était donc en principe attendue.

Cependant, dans cet arrêt le Conseil d’Etat innove en matière de contentieux des DUP emportant mise en compatibilité et considère que l’irrégularité peut être régularisée dans les conditions fixées par le juge :

« 16. Si le juge administratif, saisi de conclusions dirigées contre un arrêté déclarant d’utilité publique et urgents des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d’occupation des sols et de plans locaux d’urbanisme, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu’une illégalité entachant l’élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d’être régularisée, il peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu’à l’expiration du délai qu’il fixe pour cette régularisation. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations.

17. Le juge peut préciser, par son jugement avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l’intervention d’une décision corrigeant le vice dont est entaché l’arrêté attaqué. Un vice de procédure, dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de l’arrêté attaqué, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date. Si ces modalités ne sont pas légalement applicables, notamment du fait de l’illégalité des dispositions qui les définissent, il appartient au juge de rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue ».

Ainsi, la haute juridiction dispose que « Dans la mesure où les modalités prévues à la date de l’arrêté attaqué ne sont pas applicables compte tenu de leur illégalité, le vice de procédure peut ainsi être réparé par un avis rendu par la mission régionale d’autorité environnementale (…) en application des articles R. 122-6 à R. 122-8 et R. 122-24 du code de l’environnement ».