Le zéro artificialisation nette : quels objectifs ?

Plus d’un an après l’entrée en vigueur de la loi climat et résilience du 22 août 2021 créant le principe du Zéro Artificialisation Nette, et à l’heure où l’Assemblée Nationale examine une proposition de loi adoptée en première lecture par le Sénat[1], visant à faciliter la mise en œuvre de ses objectifs, il est utile de revenir sur ces derniers pour comprendre leur impact et importance dans le temps.

 

 

Des objectifs nationaux…

Créé par la loi climat et résilience du 22 août 2021 à son article 191, le principe du « Zéro artificialisation nette » (ZAN) vise à atteindre en 2050 « « l’absence de toute artificialisation nette des sols » à l’échelle nationale. C’est donc un objectif national de moyen terme s’étalant dans le temps.

 

L’atteinte de cet objectif final passe par la mise en place d’objectifs intermédiaires à l’échelle nationale et locale. En effet, à l’échelle nationale, entre 2021 et 2031, il est prévu une division par deux de la consommation d’espace observée sur tout le territoire national entre 2011 et 2021. Plus exactement, l’article 191 dispose que : « afin d’atteindre l’objectif national d’absence de toute artificialisation nette des sols en 2050, le rythme de l’artificialisation des sols dans les dix années suivant la promulgation de la présente loi doit être tel que, sur cette période, la consommation totale d’espace observée à l’échelle nationale soit inférieure à la moitié de celle observée sur les dix années précédant cette date ».

 

 

…. se déclinant à l’échelle locale

Ces objectifs étant nationaux, ils sont « appliqués de manière différenciée et territorialisée »[2], c’est-à-dire adaptée aux territoires en fonction de leurs enjeux et besoins mais aussi des efforts de sobriété foncière déjà réalisés[3].  Il reviendra ainsi aux régions de définir et répartir, au sein du SRADDET ou du SAR, ces objectifs d’absence de toute artificialisation nette des sols et de division par deux de la consommation d’espace, puis aux SCOT et PLU de les reprendre et encadrer plus strictement. Ce n’est donc pas une réduction uniforme de l’artificialisation. Une conférence régionale des SCOT a été mise en place[4] pour permettre aux élus d’ajuster leurs objectifs de réduction de consommation foncière en fonction des besoins du territoire et des initiatives déjà effectuées par d’autres.

 

Aussi, à l’échelle locale, ces mêmes documents doivent établir un objectif de réduction du rythme de l’artificialisation par période décennale (SRADDET, SCOT, PLU)[5]. Si l’objectif de réduction de l’artificialisation entre 2021 et 2031 consiste en la division par deux de la consommation d’espace, l’objectif de réduction de l’artificialisation post 2031 n’est pas encore identifié. Au vu de la rédaction de la loi, c’est aux collectivités qu’il appartiendra d’identifier ces objectifs.

 

En définitive, le ZAN est en lui-même un objectif de moyen terme qui se subdivise dans le temps en plusieurs objectifs intermédiaires dans le but d’atteindre un objectif final. Il n’impactera pas tous les territoires de la même manière, mais sa mise en place demandera une concertation entre tous ses acteurs.

 

Si le ZAN et ses objectifs ne sont aucunement remis en cause par les acteurs, il en va autrement pour la définition des notions qu’il comporte, ce qui soulève d’autres enjeux.

 

 


[1] Proposition de loi adoptée par le Sénat visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, n°958
[2] Article 191 de la loi climat et résilience du 22 aout 2021
[3] Circulaire n°6323 du 7 janvier 2022 sur la mise en œuvre opérationnelle de la loi climat et résilience en matière de lutte contre l’artificialisation des sols 
[4] Article 196, 4°, V de la loi climat et résilience du 22 aout 2021
[5] Article 194, I de la loi climat et résilience du 22 aout 2021

Contrat de vente d’un bien du domaine privé d’une commune et compétence juridictionnelle : les récentes précisions apportées par le Tribunal des conflits

une poignée de main au dessus d'un contrat

Par deux décisions, le Tribunal des conflits a précisé les règles de compétence juridictionnelle s’agissant de la vente d’un bien relevant du domaine privé d’une commune.

 

1. Décision du 13 mars 2023, n° 4260, SARL BOUCHERIE CANNOISE

En l’espèce, une SARL exploitait un commerce à Cannes. Par une délibération, le conseil municipal a approuvé le principe et le prix d’acquisition du fonds de commerce et a autorisé le maire à signer « tous les actes nécessaires » à cette opération.
Plus tard, la commune a décidé de ne plus acquérir le fonds de commerce et l’a fait savoir à la SARL, qui a saisi le tribunal administratif de Nice d’une demande tenant à ce que la commune soit condamnée à verser une indemnité en réparation du préjudice qu’elle estime avoir subie du fait de l’absence d’exécution de la délibération précitée.
Le tribunal administratif de Nice a renvoyé au Tribunal des conflits le soin d’apprécier la compétence juridictionnelle pour juger l’affaire en litige.
Le Tribunal des conflits juge que :
•  l’acte d’une personne publique, qu’il s’agisse d’une délibération ou d’une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif ;
•  Il en est de même du refus de prendre un tel acte, de son retrait ou du litige par lequel la responsabilité de cette personne publique est recherchée à raison dudit acte, du refus de le prendre ou de son retrait.
Cette décision distingue, d’un côté, les actes tendant à la modification du périmètre ou la consistance du domaine privé et, de l’autre, les actes de gestion du domaine privé.
Pour rappel :
•  Les actes de disposition du domaine, public ou privé, d’une personne publique ressortissent de la compétence du juge administratif. Ils concernent essentiellement les délibérations des collectivités relatives à la vente, l’achat et le refus de la collectivité de vendre ou d’acheter, qui sont contestées par des tiers à un éventuel contrat (Cf par ex. CE, 2 avril 2015, n° 364539 ; CE, 15 mars 2017, n°393407 ; TC, 15 mai 2017, n°4079) ;
•  Les actes de gestion du domaine privé d’une personne publique, c’est-à-dire ceux par lesquels le gestionnaire du domaine privé initie, conduit ou termine une relation contractuelle avec une personne déterminée, dont l’objet est la valorisation ou la protection du domaine privé, ressortissent de la compétence du juge judiciaire (TC, 18 juin, n°3241), sauf s’ils contiennent des clauses exorbitantes (TC, 22 novembre 2010, n°3764, BRASSERIE DU THEATRE).
La notion de « gestion » se rapporte, en somme, à une relation contractuelle entamée avec une personne bien déterminée (contrat de location ou de mise à disposition, ou même délibération autorisant le maire à résilier un contrat ou décidant de ne pas renouveler un bail déjà conclu avec cette personne).

 

2. Décision du 13 mars 2023, n° 4266, Commune de PHALSBOURG

Par un acte de vente, la commune a cédé à une société, une parcelle de son domaine privé en vue de la construction, par cette société, d’un immeuble à usage industriel.
Cet acte de vente contient un certain nombre de conditions suspensives plutôt exigeantes et révélant un intérêt certain de la commune dans le cas d’une future rétrocession :
•  dépôt d’un permis de construire ;
•  édification de l’immeuble dont la surface et les délais sont précisés ;
•  versement d’une indemnité en cas de non-respect des prescriptions ;
•  interdiction pour l’acquéreur de mettre à la vente l’immeuble avant la fin des travaux sans en aviser le maire qui se réserve le droit d’obtenir la rétrocession du terrain ;
•  interdiction de morceler le terrain sans autorisation de la commune.
Classiquement, et conformément à une jurisprudence désormais constante (TC, 22 novembre 2010, n°3764, BRASSERIE DU THEATRE ; TC, 4 juillet 2016, n° 4052), le Tribunal des conflits rappelle que « le contrat par lequel une personne publique cède des biens immobiliers faisant partie de son domaine privé est en principe un contrat de droit privé, sauf si ce contrat a pour objet l’exécution d’un service public ou s’il comporte des clauses qui, notamment par les prérogatives reconnues à la personne publique contractante dans l’exécution du contrat, impliquent, dans l’intérêt général, qu’il relève du régime exorbitant des contrats administratifs ».
En l’espèce, il considère, d’une part, que la vente en question n’a pas pour objet l’exécution d’un service public et, d’autre part, que les clauses contenues dans l’acte de vente, pourtant contraignantes, n’impliquent pas que le contrat relève du régime exorbitant des contrats administratifs.
Il a finalement qualifié le contrat de contrat privé, relevant ainsi de la compétence du juge judiciaire.

 

 

 Guillaume Mériaux, Avocat

Périmètre de protection des captages : Conditions d’indemnisation des gisements et carrières

un point de captage d'eau dans la nature

La Cour d’appel de Rennes (CA Rennes, Ch. Expro., 13 janvier 2023, RG n° 21/08011) vient de rappeler que si la création d’un périmètre de protection de point de captage d’eau potable peut dans certains cas justifier une indemnisation au titre de l’impossibilité d’exploiter un gisement en sous-sol, c’est à la triple condition que celui-ci soit juridiquement, techniquement et économiquement exploitable.

 

Saisie d’un litige relatif aux conséquences de l’instauration d’un périmètre de protection d’un captage d’eau potable, la Chambre de l’Expropriation de la Cour d’Appel de Rennes a, par un arrêt du 13 janvier 2023[1], eu l’occasion de se prononcer sur une demande d’indemnisation pour perte d’exploitation de ressources en tréfonds de parcelles comprises dans ce périmètre.

 

Il convient tout d’abord de rappeler qu’en la matière, le code de la santé publique[2] dispose que les indemnités dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d’eau destiné à l’alimentation humaine sont fixées suivant les règles applicables en matière d’expropriation.

 

En l’espèce, les appelants, propriétaires de parcelles comprises dans le périmètre de protection rapprochée d’un captage d’eau potable, sollicitaient plusieurs indemnités et notamment une indemnité pour perte d’exploitation du tréfonds (gisement).

 

Si le droit indemnitaire du propriétaire est évident lorsque le gisement est exploité[3] la question est plus délicate lorsqu’il ne l’est pas ou pas encore.

 

Or, sur ce point la Cour d’appel confirme que « l’indemnisation est due non seulement lorsque le gisement est exploité mais également s’il ne l’est pas à condition toutefois qu’il soit justifié de son caractère exploitable. Dans cette dernière hypothèse, il confère une plus-value à la valeur vénale du terrain et l’indemnisation doit couvrir la perte de cette plus-value ». Les trois critères tenant à la détermination du caractère exploitable d’un gisement en tréfonds sont ensuite mentionnés dans l’arrêt : « un gisement est considéré comme exploitable lorsque son exploitation est matériellement, économiquement et juridiquement possible ».

 

En l’espèce, la Cour relève que le gisement revendiqué par les appelants n’est pas exploité. Elle procède donc à l’analyse successive des trois critères permettant de déterminer son caractère exploitable :

 

S’agissant de la possibilité juridique d’exploiter le tréfonds des parcelles comprises dans le périmètre de protection du captage, la Cour constate que celles-ci étaient juridiquement inexploitables avant même la création du périmètre de protection du captage. En effet, ces parcelles sont incluses dans la zone rouge du plan de prévention du risque inondation, lequel proscrit les activités nécessitant des affouillements telles les carrières et a été adopté 7 ans avant la création du périmètre de protection du captage.

 

S’agissant des possibilités matérielles et économiques d’exploiter le tréfonds, les propriétaires produisaient aux débats des pièces démontrant une exploitation antérieure d’une parcelle, replantée depuis lors, et des documents faisant état de difficultés techniques empêchant l’exploitation du tréfonds. Relevant ces éléments et considérant par ailleurs que certaines parcelles, eu égard à leurs dimensions, n’étaient pas matériellement ou économiquement exploitable, la Cour considère que les deux critères d’exploitabilité matérielle et économique des parcelles ne sont pas davantage remplis.

 

Relevant l’absence de caractère juridiquement, économiquement et matériellement exploitable du tréfonds des parcelles incluses dans le périmètre de protection rapprochée du captage d’eau potable, la Cour rejette la demande d’indemnisation sollicitée par les propriétaires de ces parcelles.

 

 

Valentine Bosquet, Juriste Sarah Heitzmann, Avocate associée

 

 


[1] Cour d’appel de Rennes, Chambre de l’Expropriation, 13 janvier 2023, RG n° 21/08011
[2] Article L. 1321-3 du code de la santé publique
[3] Cour de cassation, 3ème chambre civile, 3 octobre 1990, n° 89-70.073 89-70.074

Le Bail Réel Solidaire d’Activité : un outil largement inspiré du BRS, en faveur de la diversification des activités artisanales et commerciales dans les espaces urbains

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L’ordonnance n°2023-80 du 8 février 2023 relative au Bail réel solidaire d’activité (BRSA) a été prise en application de l’article 106 de la loi 3DS n °2022-217 du 21 février 2022 qui avait étendu à titre subsidiaire le champ d’activité des OFS en vue de favoriser la mixité fonctionnelle des opérations de construction réalisées dans le cadre de ce dispositif.

 

L’ordonnance crée un nouveau chapitre dans le Code de la Construction et de l’Habitation (CCH) portant spécifiquement sur le BRSA et contenant 21 articles de l’article L256-1 à l’article L. 256-21 du CCH dont l’entrée en vigueur est subordonnée à la parution d’un décret et au dépôt d’un projet de loi de ratification de l’ordonnance avant le 10 juin 2023.

 

Cette ordonnance s’inspire fortement des dispositions déjà existantes sur le BRS (applicable uniquement au logement), mais présente des particularités notables notamment quant à la durée du BRSA, d’un minimum de 12 ans (au lieu de 18 ans).

 

Le dispositif repose toujours sur les grands éléments constitutifs du BRS à savoir la dissociation du foncier et du bâti, le versement d’une redevance foncière à l’OFS, un bail de longue durée à caractère rechargeable et une faculté de céder les droits réels à tout moment sous réserve d’un encadrement des prix de cession.

 

Compte tenu de son objet, le BRSA présente cependant des spécificités :
•    La nature du preneur : le bail peut être consenti aux microentreprises définies selon la recommandation n° 2003/361/CE du 6 mai 2033 (entreprise de moins de 10 salariés et de moins de 2 M € de CA). Selon les objectifs recherchés par les OFS, ils pourront définir des critères complémentaires ou plus restreints à ces microentreprises comme le CA, le statut ou le type d’activité exercée. Ces critères d’éligibilité au BRSA permettront de se mettre en cohérence sur certains territoires avec l’action publique en faveur de la revitalisation des centres-villes et la diversification des activités commerciales et artisanales dans les espaces urbains.
•    La publicité préalable à toute intention de conclure un BRSA dont les modalités vont être précisées par décret,
•    La durée minimale réduite à 12 ans comme pour le Bail réel d’adaptation à l’érosion côtière
•    La redevance constituée d’une partie fixe et d’une partie variable qui pourra être modulée en fonction de l’évolution de la situation du preneur, notamment des gains tirés de l’exploitation du local soumis à BRSA.
•    En cas de résiliation du BRSA, en plus de l’indemnisation de la valeur des droits réels immobiliers, l’OFS devra, le cas échéant, indemniser le preneur du fonds de commerce dans les conditions prévues au bail.
 
Le BRSA destiné aux microentreprises permettra d’exercer toutes les activités artisanales, la plupart des activités commerciales et certaines activités libérales à l’exception des professions de santé, des professions juridiques et judiciaires. (Cf. site Bercy infos Entreprises).

 

Les entreprises de l’économie solidaire et sociale (ESS) ne sont finalement pas concernées alors qu’elles avaient été évoquées dans les débats préalables.

 

L’OFS peut préciser dans le BRSA la ou les activités autorisées et les activités accessoires pouvant être exercées dans le local. Tout changement de destination ou d’activités est subordonné à l’accord de l’OFS qui devra être sollicité dans un délai d’un mois avant ce changement (article L 256-7 du CCH).

 

Outre celui directement conclu entre l’OFS et la microentreprise (avec l’obligation d’occuper le local et de ne pas le sous-louer, CCH, art. L. 256-2), le BRSA peut être consenti à un opérateur et prendre la forme d’une opération locative ou d’accession à la propriété.
Lorsqu’il s’engage à louer le local à une microentreprise (CCH, art. L. 256-3), l’opérateur doit être un établissement public y ayant vocation, une SEM locale, une société publique locale ou une SEM à opération unique.
 

 

 

Conclusion :

 
Cette extension du dispositif aux locaux d’activité démontre son attractivité mais reste limitée dans sa portée en ne rendant le BRSA éligible qu’à certains opérateurs et qu’aux microentreprises.

 

L’encadrement de la qualité des opérateurs pouvant bénéficier d’un BRSA en vue de louer le local d’activité à une microentreprise pourrait avoir pour conséquence d’augmenter sensiblement, dans les mois à venir, le nombre des demandes d’agrément OFS par les sociétés d’économie mixte qui avaient déjà vu leur objet social élargi au dispositif BRS par la loi ELAN de 2018.

 

Ce nouvel outil tente néanmoins d’apporter une réponse aux élus locaux qui souhaitent mettre en cohérence leur politique locale avec l’action publique en faveur de la diversification des activités en centre-ville et de leur revitalisation.
 

 

Carole Camus, Avocate
Romain Thomé, Avocat Associé

 

Publicité dans la presse des périmètres de préemption : Attention à la conservation des preuves

Le Conseil d’Etat est revenu dans une décision du 8 décembre dernier[1] sur les modalités de publication des délibérations instaurant ou modifiant le droit de préemption urbain.

 

Était déférée en cassation une ordonnance de rejet d’un référé suspension à l’encontre d’une décision de préemption. Le requérant se prévalait notamment de l’absence de démonstration, par l’EPF auteur de la décision de préemption, de la réalisation effective des mesures de publicité de la délibération relative au périmètre de préemption.

 

L’article R. 211-2 du code de l’urbanisme dispose en la matière qu’une telle délibération doit faire l’objet d’un affichage en mairie pendant une durée d’un mois et mention doit être faite de cet affichage dans deux journaux à diffusion départementale.

 

En l’espèce, censurant la position retenue par le juge des référés, le juge de cassation considère qu’un doute sérieux existe concernant la légalité de la décision s’il n’est rapporté la preuve de la diffusion que d’un seul avis dans un journal local, quand bien même la délibération comporte la mention des voies de publicité précisant la diffusion dans deux journaux locaux.

 

Autrement dit, l’autorité qui préempte doit être en mesure de démontrer que les deux publications dans la presse requises par l’article R. 211-2 du code de l’urbanisme ont effectivement été effectuées par la commune ou l’EPCI compétent en matière de PLU. A défaut, la décision de préemption est entachée d’illégalité faute de périmètre de préemption exécutoire.

 

Cette décision est l’occasion de rappeler l’absolue nécessité de conserver les preuves de publication dans la presse des délibérations portant sur les périmètres de préemption (institution ou modification). Les EPCI, ou communes, qui ne disposeraient pas – ou plus – de ces preuves ont tout intérêt à réapprouver leurs périmètres de DPU et à procéder à nouveau aux publications requises, afin de sécuriser les décisions de préemption à intervenir sur leur territoire.

 

 

Par Antoine Lefort, Juriste

 

 

 


[1] Conseil d’Etat, 8 décembre 2022, SAS Pierre et Patrimoine, n° 466081

Indemnisation par une personne publique : « Tout le préjudice, rien que le préjudice »

Commentaire de la décision n°455186 SOCIETE GRASSE-VACANCES du Conseil d’Etat en date du 16 décembre 2022 (classement A)

 

Par sa décision du 16 décembre 2022 (n°455186), le Conseil d’Etat précise les modalités d’indemnisation amiable du cocontractant de l’administration qui a subi un préjudice, en cas de résiliation d’un contrat administratif ou dans le cadre d’une transaction. Guidé par l’exigence du bon emploi des deniers publics, et pour caractériser l’existence d’une libéralité, il abandonne la notion de disproportion manifeste entre l’indemnité fixée et le montant du préjudice subi par le cocontractant de l’administration, au profit d’une analyse poussée de l’indemnité prévue au regard, d’une part, de la nécessité de réparer l’entier préjudice subi et, d’autre part, de l’impossibilité d’excéder le montant dudit préjudice. Une telle décision peut porter à conséquence dans de nombreux domaines donnant lieu à négociation par les personnes publiques.

 

 

Le rappel de l’interdiction de consentir des libéralités

Lorsque l’administration transige pour régler un litige pour lequel sa responsabilité est mise en cause, elle ne peut accorder une indemnité que si sa responsabilité est établie et pour les seuls chefs de préjudice effectivement indemnisables. Cette règle ressort d’une jurisprudence ancienne selon laquelle une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu’elle ne doit pas (CE, 19 mars 1971, « Mergui », n°79962). Elle est d’ordre public (CE, 11 juillet 1980, n° 16149).

 

L’avis du 6 décembre 2002 (n°249153) rendu par le Conseil d’Etat indique que le juge, saisi d’une contestation ou d’une homologation relative à une transaction, vérifie, notamment, que la transaction ne constitue pas de la part de la collectivité publique intéressée une libéralité.

 

En effet, l’absence de concessions réciproques entre les parties peut s’analyser en une libéralité (Conseil d’État, Assemblée, 11 juillet 2008, n°287354).

 

La jurisprudence relative à l’interdiction de consentir des libéralités dans le cadre d’une transaction est transposable aux cas de résiliations de contrats administratifs.

 

En effet, la résiliation des contrats administratifs peut donner à l’indemnisation par l’administration du cocontractant.

 

En la matière, le Conseil d’Etat (4 mai 2011, n°334280) a pu juger que « l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations du contrat », mais « sous réserve qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé ».

 

La notion de « disproportion manifeste » irriguait donc le contentieux des contrats administratifs, y compris celui relatif aux transactions (qui sont, en réalité, des contrats administratifs : cf par ex. Tribunal des Conflits, 18 juin 2007, n°C3600, et Conseil d’État, 18 mars 2019, n° 403465).

 

 

De la « disproportion manifeste » à l’interdiction de versement d’une indemnité « excédant le préjudice subi »

La décision commentée est importante car elle a pour effet de préciser cette notion en exigeant que l’indemnisation du cocontractant n’excède pas « le montant du préjudice qu’il a subi résultant du gain dont il a été privé ainsi que des dépenses qu’il a normalement exposées et qui n’ont pas été couvertes en raison de la résiliation du contrat ».

 

En l’espèce, la Commune de Grasse et la société Grasse-vacances ont conclu un bail emphytéotique le 9 février 1966 pour une durée de soixante ans. Dans le cadre de ce bail, la la société a loué à la Commune un terrain d’environ dix-sept pour l’établissement d’un village de vacances. Par une délibération du 20 septembre 2016, le conseil municipal de Grasse a autorisé le maire à résilier ce contrat, en accord avec l’emphytéote, en contrepartie du versement à la société, à titre d’indemnité, de la somme de 1 700 000 euros. Des conseillers municipaux d’opposition ont formé un recours à l’encontre de cette délibération. Le tribunal administratif de Nice leur a donné raison et a annulé ladite délibération. La cour administrative d’appel de Marseille a ensuite rejeté l’appel interjeté à l’encontre du jugement et la société s’est, en conséquence, pourvue en cassation.

 

Le Conseil d’Etat censure le raisonnement de la cour, qui avait jugé « qu’en raison de l’obligation faite aux preneurs d’aménager et d’exploiter un village de vacances sur le site, le manque à gagner résultant de la résiliation anticipée du contrat du 9 février 1966 ne pouvait correspondre qu’à la perte du bénéfice qui pouvait être escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir ». Il considère que la cour n’a pas tenu compte « du prix qu’il pouvait tirer de la cession des droits qu’il tenait du bail, afin de retenir le plus élevé des deux montants correspondant soit au bénéfice escompté de l’exploitation du site pour la durée du contrat restant à courir soit à la valeur des droits issus du bail ».

 

Il résulte tant du nouveau considérant de principe élaboré par le Conseil d’Etat, et de la solution d’espèce dégagée dans le cadre de la même décision, que l’analyse d’une « disproportion manifeste » entre l’indemnité allouée et la consistance du préjudice subi laisse place à l’appréciation de deux conditions cumulatives :

•  D’une part, l’impossibilité pour la personne publique de prévoir une indemnisation inférieure à celle que son cocontractant pouvait légitimement espérer ;

•  D’autre part, l’interdiction de verser une indemnité supérieure au montant du préjudice qu’il a réellement subi.

L’évolution de la jurisprudence oblige alors les parties à prévoir, dans le cadre d’un rapport amiable, une indemnité correspondant précisément au préjudice subi, cette notion apparaissant plus restrictive que la notion de « disproportion manifeste ».

 

La précision apportée par cette décision a notamment pour but de préserver les deniers publics d’une indemnisation inutilement excessive du préjudice subi par le cocontractant.

 

Elle n’est guère étonnante puisque le Conseil d’Etat considère, depuis 2016, que les concessions réciproques consenties par les parties dans le cadre d’une transaction doivent être appréciées de manière globale, et non en recherchant si, pour chaque chef de préjudice pris isolément, les indemnités négociées ne sont pas manifestement disproportionnées (CE, 9 décembre 2016, n°391840).

 

 

Sur l’application de ce principe aux négociations foncières

On peut légitimement penser que la règle issue de la décision commentée peut trouver à s’appliquer dans le cadre d’autres matières donnant souvent lieu à la fixation amiable d’indemnités, telles que celles relatives aux problématiques foncières.

 

En effet, l’acquisition (ou la cession) de foncier par les personnes publiques donnent très souvent lieu à des protocoles d’accord transactionnels ou, dans le cadre d’une expropriation, des traités d’adhésion à l’ordonnance d’expropriation, déterminant, notamment, les indemnités dues à la personne lésée.

 

Une telle décision ne peut qu’inciter les personnes publiques à redoubler de vigilance dans la négociation menée, afin de ne pas verser d’indemnités indues qui pourraient être analysées en libéralités.

 

Encore faut-il pouvoir déterminer avec précision la réalité du préjudice subi, ce qui est, s’agissant des sujets fonciers, éminemment complexe, tant ils sont soumis à des circonstances fluctuantes (évolution du prix de l’immobilier, circonstances géographiques, topographiques, démographiques et sociales, modifications des documents de planification urbaine, conséquences d’un portage foncier, évolution de la date de référence etc).

 

Ainsi, dans le cadre d’une expropriation, s’il est possible de déterminer la valeur d’une parcelle par référence à l’avis de la Direction Immobilière de l’Etat, encore faut-il pouvoir déterminer avec précisions les indemnités accessoires à prévoir (indemnités pour dépréciation du surplus, indemnité d’éviction…) ou les abattements à opérer (coût de la démolition d’un bâti en ruines…). Il en est de même pour la détermination des indemnités dues aux locataires de biens ou de terrains expropriés (indemnités d’éviction, correspondant à la valeur du fonds ou à une indemnité de transfert, indemnités pour trouble commercial ou, dans le cadre de terrains agricoles, indemnités pour perte de récoltes, indemnités pour difficultés d’exploitation, etc.).

 

Par sa décision, le Conseil d’Etat limite donc, aussi bien pour les personnes publiques que pour ses cocontractants, la marge de manœuvre relative à la détermination de l’indemnisation du préjudice subi.

 

En définitive, les personnes publiques devront indemniser tout le préjudice, mais rien que le préjudice.

 

 

Par Guillaume Mériaux, Avocat

 

Un début d’année prometteur pour la prévention des risques littoraux !

Tandis que l’adoption des textes d’application de la loi du 22 août 2021 dite « Climat et résilience » se poursuit, la thématique de prévention des risques littoraux n’a jamais été aussi prégnante en raison des récentes annonces auprès des élus littoraux par l’État. Le début de l’année 2023 n’y échappera pas.

 

 

I. Immobilier et risque d’érosion côtière : mise à jour de la procédure d’élaboration de l’état des risques à partir du 1er janvier 2023

 

Le 29 avril 2022, le pouvoir réglementaire est venu dresser la liste des communes dont l’action doit être adaptée en matière d’urbanisme et d’aménagement au regard de l’érosion du littoral. Parmi les 126 communes classées prioritaires, la taille des collectivités y est très variable :  Biarritz, Cayenne, Cassis, Dieppe ou encore Saint-Brieuc. Cette liste, qui a évoluée à diverses reprises, a fait de nombreux déçus. Seulement, parmi ces collectivités malheureuses, beaucoup d’élus faisaient encore la confusion entre submersion et érosion.

 

Un récent décret d’application de la loi Climat et Résilience (décret n°2022-1289 du 1er octobre 2022 relatif à l’information des acquéreurs et des locataires sur les risques) prévoit plusieurs évolutions, au premier rang desquels figure le dispositif d’information des acquéreurs et locataires (IAL) sur les risques, prévu à l’article L.125-5 du code de l’environnement.

 

 

Annonce immobilière et état des risques

 

A partir du 1er janvier 2023, les propriétaires bailleurs ainsi que les vendeurs d’un bien immobilier devront à chaque étape de la vente ou de la location, dès le stade de l’annonce immobilière, porter à la connaissance du futur acquéreur/locataire le risque de recul du trait de côte.

 

L’obligation rejoint celles déjà en vigueur pour les biens immobiliers situés dans des zones couvertes par un plan de prévention des risques technologiques (PPRT), par un plan de prévention des risques naturels prévisibles (PPRN) ou par un plan de prévention des risques miniers (PPRM), prescrit ou approuvé, dans des zones de sismicité faible à forte, une zone à potentiel radon significatif ou dans un secteur d’information sur les sols.

 

Le nouveau dispositif se matérialise à travers un « état des risques », daté de moins de 6 mois, remis aux personnes intéressées et annexé à la promesse de vente ou au bail, comprenant :

 

  • L’indication de l’horizon temporel d’exposition au recul du trait de côte identifié (zones exposées à 30 et 100 ans) ;

  • Le rappel des prescriptions applicables à cette zone ;

  • La mention du caractère provisoire du zonage dans les documents d’urbanisme ;

  • Les obligations de démolition et de remise en état de terrains ;

  • Les informations relatives à d’éventuels sinistres dont l’immeuble a fait l’objet et ayant donné lieu au versement d’une indemnité pendant la période où le vendeur a été propriétaire de l’immeuble ou dont il a été lui-même informé ;

  • La liste des arrêtés portant reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle pris dans la commune qui ont affecté le bien concerné et qui ont donné lieu au versement d’une indemnité.

 

 

Un renvoi vers le site Géorisques

 

En sus de l’encadrement des loyers ou encore du diagnostic de performance énergétique (DPE), cette nouvelle information devra obligatoirement figurer sur le site www.georisques.gouv.fr. Il faut le dire, de nombreuses informations liées au risque étaient déjà accessibles sur la plateforme. Seulement, chacun y prêtait une attention plutôt réduite jusqu’à aujourd’hui. Désormais, il y a fort à parier que celle-ci devrait peser davantage dans la décision d’acheter ou de louer. Tout comme l’information pourrait également devenir un argument majeur des négociations entre vendeur/acquéreur et propriétaire/futur locataire.

 

 

II. Des annonces supplémentaires sur le terrain

 

Lors d’une récente visite à Camiers (Pas-de-Calais), où l’érosion grignote l’espace dunaire à une vitesse fulgurante, la secrétaire d’État à l’Écologie Bérangère Couillard est venue annoncer aux élus locaux une série de mesures complémentaires au cadre juridique offert par la loi d’août 2021.

 

 

« Trouver des financements »

 

Longtemps attendu, le législateur est venu fixer un cadre juridique propre à la gestion de l’érosion côtière suscitant toutefois des inquiétudes légitimes quant au « volet financement », grand absent de la loi « climat et résilience ». Celles-ci viennent alimenter les débats entre élus locaux et l’État, tant les enjeux à relever sont majeurs.

 

Devant les élus nordistes, Bérangère Couillard a rappelé l’octroi de 30 millions d’euros, à travers le « Fonds vert ». Une source de financement qui fait écho au 10 millions d’euros du plan « France Relance » que se sont partagé les communes de Lacanau, Saint-Jean-de-Luz et Coutances. Plus encore, Biscarosse et Sète qui vont prochainement recevoir 5 millions d’euros à l’heure où ces territoires amorcent leur Projet Partenarial d’Aménagement (PPA). Seulement, ces modalités accréditent l’absence de solution pérenne de financement pour répondre aux différents scénarios offerts aux élus locaux : lutte active, protection souple, repli stratégique, renaturation etc.

 

Cette option ne semble toutefois pas d’actualité. En témoignent les récentes initiatives parlementaires dont les propositions ont surtout un caractère budgétaire. Faut-il innover en consacrant un Fonds spécifique à l’érosion côtière dès 2023 (amendement n°I-CF441 du 29 septembre 2022) ? L’amendement prévoyait la mise en place d’une taxe additionnelle sur les Droits de Mutation à Titre Onéreux (DMTO). Sur une assiette de 350 milliards d’euros de transactions immobilières en France, le « Fonds Érosion Côtière » pouvait espérer, selon ses auteurs, un produit avoisinant les 35 millions d’euros dès 2023.

 

Faut-il plutôt abonder le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (Fonds Barnier), qui exclut toujours l’érosion dunaire de son champ d’indemnisation[1], à coup de millions d’euros (amendement n°II-CF1284 du 19 octobre 2022[2]) ? Pour l’heure, les deux amendements ont été rejetés tandis que sur le terrain, les besoins des décideurs se chiffrent non pas en millions mais en milliards. Les collectivités devront-elles assumer seules l’addition ? C’est en tout cas ce que craignent l’AMF et l’ANEL qui se sont résolues à saisir le Conseil d’État en ce que ce cadre nouveau opérerait un transfert de charges « masqué » en omettant de dédier les ressources aux communes.

 

 

La création d’un « Conseil national du trait de côte »

 

La secrétaire d’État a également annoncé « une grande concertation pour trouver les solutions jusqu’en 2050 ». Annoncé pour février 2023, ce dernier devrait être composé d’élus locaux et nationaux, de chercheurs, des services du ministère de l’Écologie. Il pourrait être également chargé d’affiner les besoins des collectivités, en matière budgétaire et de financement, puis de désigner les projets à accompagner.

 

Reste à savoir si ce dernier parviendra à s’inscrire dans une stratégie durable et innovante au regard des structures existantes, si ce n’est quasi-équivalentes : conseil national de suivi de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, conseil maritime de façade etc.

 

Ce « Conseil national du trait de côte » pourrait être cependant d’une grande utilité, selon la ministre, quant aux réflexions nécessaires à l’évolution du droit de l’aménagement littoral. Car comment envisager le recul stratégique des biens et activités lorsque ces mêmes zones sont souvent encerclées par des zones inconstructibles ou encore lorsque le droit en vigueur ne permet l’urbanisation nouvelle qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants ?

 

Force est de constater que l’ordonnance du 6 avril 2022 a apporté des réponses à ces interrogations[3], en permettant à l’opération d’aménagement « relocalisation », dument contractualisée par un Projet partenarial d’aménagement (PPA), de déroger :

 

  • À l’obligation d’extension de l’urbanisation en continuité avec les agglomérations et villages existants à la condition que le bien soit relocalisé en dehors des espaces proches du rivage, des espaces et milieux à préserver et d’une bande d’une largeur de 1000 mètres à compter de la limite haute du rivage ;

  • L’exclusion des agglomérations et villages identifiées par le SCOT et délimités par le PLU, pour l’autorisation de constructions et installations visant l’amélioration de l’offre de logement, d’hébergement ou encore d’implantation de services publics à la condition que les biens soient relocalisés en dehors des espaces proches du rivage ou des espaces et milieux à préserver et que l’extension aboutit au minimum à la création d’un village ;

  • L’obligation de prévoir des coupures d’urbanisation dans les PLU et SCOT, à l’exception des espaces proches du rivage et les espaces et milieux à préserver.

 

Ces éléments, assez limitatifs, font dire à de nombreux élus que de telles conditions seront difficilement atteignables. En témoigne un récent cas d’application d’un PPA sur le territoire métropolitain dans lequel la relocalisation d’une exploitation agricole à 700 mètres du rivage a été rendue impossible en raison des dispositions susvisées.

 

Notons enfin que c’est à l’État à qui il reviendra d’autoriser, ou non, le porteur de projet à déroger à de telles dispositions, après avis de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites. Dans ce contexte, comment la recomposition de l’urbanisme littoral, à supposer qu’elle soit motivée par un but de sécurité publique, parviendra-t-elle à composer avec la démarche politique nouvelle que l’on nomme le « Zéro Artificialisation Nette » ?

 

 

« Privilégier le droit de préemption recul du trait de côte »

 

Consacré lui aussi par la loi d’août 2021, la secrétaire d’État a invité les élus à faire usage du droit de préemption « érosion » déjà présenté il y a quelques mois pour Village de la Justice[4]. Fort heureusement, dans un marché de l’immobilier inflationniste, l’État est venu préciser la méthode d’évaluation du bien, à l’avantage de la collectivité.

 

La prise en compte du risque d’érosion, dans la fixation du prix du bien, est sans nul doute une mesure qui continuera d’alimenter les débats. Effectivement, celle-ci apparaît être assez avantageuse pour la puissance publique à deux égards :

 

  • Car elle concerne des biens voués à entrer dans le domaine public naturel et par voie de conséquence dans le patrimoine de l’État sans compensation possible pour les victimes ;

  • Car la collectivité aura à supporter un coût d’acquisition financièrement acceptable, éloigné du coût initial du bien.

 

Nous ne pouvons en dire autant pour les futures acquisitions à l’amiable, en ce que la vente se fera presque exclusivement au prix du marché. A cet égard, le propriétaire-vendeur aura potentiellement tendance à nier l’existence d’un risque littoral sur sa propriété en raison d’une forte valeur sentimentale allouée au bien en question.

 

Enfin, et avant toute chose, l’exercice de tels outils reposera sur l’obligation de cartographier l’évolution du trait de côte pour les périodes « 0 à 30 ans » et « 30 à 100 ans », et donc sur la délimitation des zones à risques vouées à entraîner les restrictions d’urbanisme. Bien que ces cartographies aient déjà été réalisées à travers les PPRL, pour les communes touchées par le phénomène de submersion marine, l’élaboration de ces dernières interroge quant à l’érosion :

 

  • Alors que ces représentations exerceront des influences patrimoniales importantes sur la décote des biens immobiliers, quel scénario devra être retenu quant à l’évolution du trait de côte ? Devons-nous nous tourner vers les prévisions du GIEC à l’horizon 2100 ?

  • La cartographique des zones menacées par les 126 communes littorales pourrait ne pas être étrangère à l’arbitrage du juge en raison des potentielles contestations de ces documents par les propriétaires concernés.

 

Une chose est sûre, et il convient déjà d’en prendre note : c’est à l’État qu’incombera la charge de subventionner l’élaboration de ces documents, intégrés par la suite dans le PLU(i).

 

 

« La protection en dur n’est pas l’avenir »

 

Là aussi le constat est plutôt clairvoyant tant l’acharnement de nombreuses communes, somme toute légitime, à conforter leurs digues ou à fixer le trait de côte envers et contre tout n’aura eu que très peu d’efficacité, la puissance des vagues ayant été trop forte.

 

Pour autant le « tout à la gestion souple » ne saurait être politiquement audible sur le plan local. Il s’agirait, plutôt, de conforter le « mix » entre les deux méthodes à l’image de Wissant (Pas-de-Calais), qui en dépit d’une lutte active par réensablement, au demeurant coûteux et difficilement efficace en période de tempête, a complété sa politique de gestion du risque d’érosion à travers la pose de filets de coco et de piquets de bois (brise-lames).

 

Le « cas par cas » demeura sans doute la règle au regard des enjeux économiques et sociaux en arrière de l’ouvrage ou de l’espace naturel menacé, mais en raison également des inégalités dans l’exposition aux nuisances environnementales. Nous prendrons notamment le cas du littoral Mahorais, territoire « multirisques » (activité volcanique, séisme, tsunami etc.), soumis aux enjeux de précarité de l’habitat et de respect du droit coutumier de la propriété.

 

Encore au stade expérimental pour de nombreuses communes intéressées, nul doute que les méthodes « douces », au premier rang desquelles figure l’aménagement de « zone tampon », à l’aide du Conservatoire du littoral, deviendront de sérieuses alternatives. Après tout, il s’agirait là d’une parfaite application de la gestion intégrée des zones côtières (GIZC) dans laquelle s’est inscrite la France depuis 2012 !

 

 

Par Hugo Vangrevelynghe, Doctorant en Droit Public

CIFRE – Cabinet d’avocats Thomé-Heitzmann

 

 


[1] Décision n° 2018-698 QPC du 29 mars 2018 Syndicat secondaire Le Signal
[2] Projet de loi de finances n°273 pour 2023
[3] Art. L. 321-9 du code de l’environnement
[4] https://www.village-justice.com/articles/strategie-fonciere-risques-littoraux-decryptage-nouveau-droit-preemption,42255.html

Pas de publicité ou de mise en concurrence préalablement à la conclusion de baux sur le domaine privé

Par un arrêt du 2 décembre 2022¹, le Conseil d’Etat a jugé que les personnes publiques ne sont pas soumises à une obligation de publicité et de mise en concurrence lorsqu’elles concluent des baux sur des biens relevant de leur domaine privé, dans la mesure où ces baux ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du droit européen.

 

Dans le cadre de ce contentieux, le Conseil d’Etat était saisi d’un pourvoi à la suite du rejet des recours de deux conseillers municipaux de la commune de Biarritz. Ces derniers avaient demandé l’annulation de plusieurs délibérations de cette commune, dont l’une autorisait le maire à signer avec une société un bail emphytéotique d’une durée de soixante-quinze ans portant sur les murs et dépendances de l’hôtel du Palais, dont la commune de Biarritz est propriétaire depuis 1956.

 

Après avoir mentionné la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur ainsi que l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques², transposant en droit français l’article 12 de la directive précitée, le Conseil d’Etat rappelle l’interprétation de cette directive européenne par la Cour de Justice de l’Union Européenne (arrêt Promoimpresa)³, selon laquelle les personnes publiques sont tenues à des obligations de publicité et mise en concurrence préalablement à la délivrance d’autorisations d’occupation du domaine public permettant l’exercice d’une activité économique.

 

Toutefois, s’agissant du domaine privé des personnes publiques, la haute juridiction précise qu’« il ne résulte ni des termes de cette directive ni de la jurisprudence de la Cour de justice que de telles obligations s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive ».

 

Dans le silence des textes et dans la mesure où la jurisprudence Promoimpresa n’opère pas de distinction entre le domaine public et le domaine privé, cette décision du Conseil d’Etat permet de clarifier la problématique relative à la mise en concurrence des titres d’occupation du domaine privé. En effet, par plusieurs réponses ministérielles, le Gouvernement avait préconisé l’application des principes dégagés par la jurisprudence européenne en matière d’attribution des titres d’occupation sur le domaine privé des personnes publiques⁴.

 

 

Par Valentine BOSQUET, Juriste

 

 


¹ Conseil d’Etat, 2 décembre 2022, n° 460100
² « Sauf dispositions législatives contraires, lorsque le titre mentionné à l’article L. 2122-1 permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester. / Lorsque l’occupation ou l’utilisation autorisée est de courte durée ou que le nombre d’autorisations disponibles pour l’exercice de l’activité économique projetée n’est pas limité, l’autorité compétente n’est tenue que de procéder à une publicité préalable à la délivrance du titre, de nature à permettre la manifestation d’un intérêt pertinent et à informer les candidats potentiels sur les conditions générales d’attribution ».
³ Cour de Justice de l’Union Européenne, Promoimpresa Srl, 14 juillet 2016, C-458/14 et C-67/15
Réponse ministérielle à la question n° 16130, JO Sénat du 10 septembre, 2020 – page 4096 ; Réponse ministérielle à la question n° 12868, JOAN du 29 janvier 2019, page 861

Conséquences de l’annulation d’une décision de préemption sur la situation de l’acquéreur évincé

Civ. 3ème, 7 sept. 2022, n°21-12.114

 

Un acquéreur évincé ne peut réclamer l’annulation de la vente conclue entre le vendeur et le titulaire du droit de préemption lorsqu’il est devenu lui-même propriétaire en vertu de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme.

 

Une société (société A) avait conclu avec une autre (société B) un bail de courte durée assorti d’une promesse unilatérale de vente de l’immeuble objet du bail.

 

Après la conclusion du bail, la Commune notifiait sa décision d’exercer son droit de préemption, tandis que, quelques jours plus tard, la société preneuse à bail (société B), devenue évincée, levait l’option de la promesse de vente qui y était assortie.

 

La décision de préemption permettait néanmoins à la Commune de conclure, par acte authentique, l’acquisition de l’immeuble auprès de la société qui était alors ancienne propriétaire (société A).

 

Or, la Cour administrative d’appel de Paris annulait ensuite la décision de préemption.

 

L’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme dispose que dans ce cas, et après que le transfert de propriété ait été effectué en vertu de la décision de préemption, le titulaire du droit de préemption propose en priorité aux anciens propriétaires l’acquisition du bien. Dans le cas où les anciens propriétaires ont renoncé expressément ou tacitement à l’acquisition, le titulaire du droit de préemption propose, dans un second temps, l’acquisition à la personne qui avait l’intention d’acquérir le bien.

 

En vertu de ces dispositions, la Commune a proposé la rétrocession du bien à la société ancienne propriétaire (société A), qui l’a refusé, pour ensuite la proposer à la société qui avait initialement l’intention d’acquérir le bien (société B).

 

Cette dernière a alors assigné la société anciennement propriétaire (société A) et la Commune afin de faire annuler la vente qui avait été conclu entre ces deux parties à la suite de la décision de préemption. Cette demande était motivée par le fait que la Commune, se revendiquant propriétaire en vertu de la décision de préemption (qui n’était alors pas encore annulée), lui réclamait le versement indemnités d’occupation.

 

Alors que la Cour d’appel de Paris, par arrêt en date du 16 novembre 2018, fait droit à la demande d’annulation de la vente, la Cour de cassation, se basant sur une application combinée des articles 1134 du Code civil (dans sa rédaction alors en vigueur) et L. 231-11-1 du Code de l’urbanisme, a considéré qu’ : « il résulte de ces textes que, lorsque, après s’être acquitté, de son obligation de proposer l’acquisition du bien à l’ancien propriétaire, qui y a renoncé, le titulaire du droit de préemption propose cette acquisition à l’acquéreur évincé, qui l’accepte, celui-ci n’est plus recevable à demander l’annulation de la vente conclue avec l’ancien propriétaire à compter de la date de la conclusion de la promesse de vente ».

 

Cet arrêt a été l’occasion pour la Cour de cassation de préciser l’articulation entre le code civil et le code de l’urbanisme, en rappelant que la lettre même de l’article L. 213-11-1 du code de l’urbanisme permet à l’acquéreur évincé (société B) de prétendre à l’acquisition du bien lorsque le vendeur (société A) renonce à la rétrocession proposée par la Commune. La Cour de cassation conclut alors que l’acquéreur évincé n’a plus aucun intérêt à faire annuler le contrat de vente conclu entre la Commune et la société anciennement propriétaire à la suite de la décision de préemption.

 

   Par Guillaume MÉRIAUX, avocat

 

« Action Cœur de Ville », le programme prolongé pour la période 2023-2026

Au cours du mois de juillet 2022, Rollon MOUCHEL-BLAISOT, Directeur du programme national « Action Cœur de Ville » (ACV) et Chargé du pilotage interministériel des ORT (Opérations de Renouvellement du Territoire), a remis son rapport de préfiguration au Gouvernement concernant le prolongement du programme de redynamisation des centres-villes moyens lancé en mars 2018.

Ce rapport fait suite à l’annonce par le Président de la République, lors de la Rencontre nationale « Action Cœur de Ville » du 7 septembre 2021, de la prolongation du programme sur la période 2023-2026.

Pour rappel, le programme « Action Cœur de Ville » a pour objet de redynamiser le centre des villes moyennes (222 collectivités sélectionnées). Ce dispositif est fondé sur un investissement massif visant en priorité la revitalisation des centres-villes grâce à un travail de collaboration entre l’Etat, la Banque des territoires, Action logement, et l’Agence nationale de l’habitat (ANAH).

 

Le rapport de préfiguration fixe notamment pour objectif principal de mettre le programme national ACV au service de la transition écologique, cela autour de quatre axes principaux :

•  Revitaliser en priorité le centre-ville dans le but d’y attirer les habitants et d’y mettre en place des activités ainsi qu’un cadre de vie agréable, accueillant et inclusif ;

•  Accompagner les villes moyennes pour qu’elles agissent plus efficacement en faveur des transitions écologique, démographique et économique ;

•  Soutenir suffisamment les villes dans la mise en œuvre de projets transversaux plus complexes, et leur octroyer des financements adaptés pour accélérer le passage à l’opérationnel ;

•  Consolider les offres de services, d’emplois, ainsi que le rôle de centralité des villes moyennes pour l’ensemble de leur territoire.

 

L’extension du programme ACV à la période 2023-2026 prévoit également pour objectifs :

•  Un principe général de continuité des territoires bénéficiaires et une probable extension à de nouveaux territoires éligibles ;

•  Un renforcement de la sobriété foncière, cela en conciliant la revitalisation des territoires, l’adaptation au changement climatique et la lutte contre l’artificialisation des sols ;

•  Un renforcement de la valorisation de l’offre commerciale de proximité ;

•  Le passage d’une offre de « logements » à une offre attractive « d’habitat » en centre-ville, en se fondant notamment sur les OFS (Organismes de Foncier Solidaire) ;

•  Un renforcement du développement des mobilités décarbonées.

 

Ce rapport de préfiguration a été remis au gouvernement et c’est à l’issue des arbitrages, probablement au cours du dernier semestre 2022, que la maquette 2023-2026 du programme ACV devrait être présentée.

 

   Par Thibaud TAILLET, avocat