Régularisation d’une DUP : le Conseil d’Etat précise l’office du juge administratif
Par un arrêt du 11 décembre 2023[1], le Conseil d’Etat a de nouveau été conduit à se prononcer sur les contours de la procédure de régularisation d’un arrêté portant déclaration d’utilité publique, faculté consacrée par les arrêts Commune de Grabels[2].
Cette décision mentionnée aux Tables du Recueil Lebon comporte deux apports.
D’une part, le Conseil d’Etat précise que « la faculté de régularisation d’un arrêté déclarant d’utilité publique des travaux et approuvant la mise en compatibilité de plans d’occupation des sols et de plans locaux d’urbanisme peut être mise en œuvre pour la première fois en appel ».
Sur ce premier point, les conclusions de Madame Pradines, rapporteure publique dans cette affaire, sont particulièrement éclairantes. Cette dernière rappelle en effet que la faculté de régularisation des arrêtés de DUP, construction prétorienne, est inspirée des mécanismes de régularisations prévus par les textes (voir notamment l’article L. 600-5-1 du code de l’urbanisme matière d’autorisation d’urbanisme ou l’article L. 181-18 du code de l’environnement en matière d’autorisation environnementale). Toutefois, ni la décision Commune de Grabels précitée, ni les facultés de régularisation prévues par les textes concernant d’autres branches du droit (urbanisme ou environnement) ne s’opposent à la possibilité d’une régularisation au stade de l’appel[3]. La rapporteure publique en conclut que la faculté de mobiliser la régularisation en appel est intrinsèquement liée à l’effet dévolutif de l’appel et s’inscrit en cohérence avec l’objet et l’esprit de la procédure de régularisation.
D’autre part, l’arrêt précise que lorsque le juge administratif rend une première décision par laquelle il sursoit à statuer afin de permettre la régularisation d’un arrêté de DUP, il peut réserver la question de l’appréciation du caractère d’utilité publique de l’opération déclarée d’utilité publique, celle-ci étant alors opérée dans sa seconde décision.
Alors que l’arrêt de principe Commune de Grabels impose que le juge administratif ne sursoie à statuer dans l’attente de la réalisation des mesures de régularisation qu’après avoir constaté que les autres moyens de la requête ne sont pas fondés, cette décision du 11 décembre 2023 apporte une certaine souplesse à l’office du juge.
En effet, en l’espèce, la cour administrative d’appel avait constaté que les autres moyens n’étaient pas fondés mais avait cependant estimé que les lacunes de l’étude d’impact l’empêchaient d’apprécier l’utilité publique du projet et que « la réponse au moyen contestant cette utilité publique supposait de disposer des éléments complémentaires attendus de l’éventuelle régularisation ». Dans ces circonstances, le Conseil d’Etat considère que la cour a suffisamment motivé son arrêt et n’a pas commis d’erreur de droit.
Le juge administratif dispose ainsi de la possibilité d’adapter, dans la limite des contours définis par la jurisprudence du Conseil d’Etat, son office en matière de régularisation d’un arrêté portant déclaration d’utilité publique, selon les faits qui lui sont soumis et en fonction des relations entre les moyens soulevés, circonstances propres à chaque contentieux
[1] CE, 11 décembre 2023, n° 466593
[2] CE 9 juillet 2021, n° 437634 et CE, 21 juillet 2022, n°437634
[3] CE, 18 juin 2014, Société Batimalo et autre, n° 376760 ; CE, 27 septembre 2018, Association Danger de tempête sur le patrimoine rural et autres, n° 420119
Opération de restauration immobilière : Le contrôle de l’utilité publique par le Juge administratif répond aux exigences constitutionnelles
CE, 2ème – 7ème Chambres réunies, 30 octobre 2023, n°474408
Aux termes de l’article L. 313-4 du Code de l’urbanisme, « les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, d’amélioration de l’habitat, comprenant l’aménagement, y compris par démolition, d’accès aux services de secours ou d’évacuation des personnes au regard du risque incendie, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d’habitabilité d’un immeuble ou d’un ensemble d’immeubles. ».
Les opérations de restauration immobilières consistent donc en des travaux sur un ou plusieurs immeubles en vue d’améliorer leurs conditions d’habitabilité. Lorsque les propriétaires des immeubles concernés n’ont pas manifesté leur intention de réaliser les travaux prescrits, l’autorité publique compétente peut procéder à l’expropriation desdits immeubles.
Par un arrêt récent, le Conseil d’Etat a été amené à se prononcer sur le renvoi au Conseil Constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des dispositions des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du Code de l’urbanisme aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (relatif à la protection du droit de propriété).
Les juges du Palais Royal ont considéré que la question tirée de la conformité des dispositions précitées du Code de l’urbanisme à l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’était pas nouvelle, et surtout, ne présentait pas un caractère sérieux.
En effet, le Conseil d’Etat a jugé que le contrôle de l’utilité publique de l’opération au moyen de la théorie dite « du bilan » répond aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et constitue une garantie suffisante à l’égard du droit de propriété :
« 6. Par les dispositions contestées, le législateur n’a autorisé l’expropriation d’immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d’opérations dont l’utilité publique est préalablement et formellement constatée par l’autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif. Il appartient à ce dernier, lorsqu’est contestée devant lui l’utilité publique d’une telle opération, de vérifier que celle-ci répond à la finalité d’intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d’habitabilité d’immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d’ordre social ou économique que comporte l’opération ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente. Ces modalités de contrôle de l’utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. »
Arrêt :
CE, 2ème – 7ème Chambres réunies, 30 octobre 2023, n°474408
Bail réel solidaire d’activité : Mise en concertation du projet de décret d’application de l’ordonnance n°2023-80 du 8 février 2023
En vue de sa publication en tout début d’année 2024, le projet de décret d’application de l’ordonnance n°2023-80 du 8 février 2023 relative au bail réel solidaire d’activité (BRSA)* est au stade de la concertation engagée par les services de l’Etat avec les parties prenantes au dispositif, dont l’association FONCIER SOLIDAIRE France (FSF) qui regroupe l’ensemble des OFS agréés ou en cours d’agrément.
L’analyse du projet de décret d’application de l’ordonnance n° 2023-80 du 8 février 2023 fait ressortir quelques idées fortes :
- Renforcer le contrôle de l’agrément délivré par l’Etat à l’OFS avec un examen en opportunité et un avis du CRHH qui s’inscrit dans la complétude du dossier de demande d’agrément,
- Définir la subsidiarité de l’activité en BRSA par un ratio (20%) appliqué à la surface totale du parc de biens immobiliers gérés par voie de bail par l’OFS,
- Distinguer la comptabilité entre activité BRS et BRSA et permettre que les recettes de l’activité BRSA alimentent l’activité BRS sans que l’inverse soit possible,
- Contrôler le public cible éligible aux BRS et écarter du dispositif des ménages déjà propriétaires d’un bien immobilier habitable qu’ils ne comptent pas vendre à l’occasion de leur accession à la propriété dans le cadre du dispositif BRS,
- Garantir le suivi du parc de logements en BRS en confiant une mission de service public aux notaires pour déclarer au fil de l’eau les signatures de BRS sur le fichier PERVAL et en allégeant le rapport annuel des OFS avec la suppression de bilans d’activité,
- Fixer les modalités opérationnelles de mise en œuvre du BRSA par analogie avec les règles applicables au BRS.
En conclusion, le projet de décret d’application de l’ordonnance relative au BRSA fixe ses règles par référence à celles existantes pour le BRS mais vise surtout à renforcer le contrôle de l’activité des OFS en vue de voir reconnaître au BRS logement la qualification de service d’intérêt économique général (SIEG).
La qualification de SIEG pour la production de logements en BRS, si elle devait être obtenue, entraînera des obligations de suivi dans le temps des activités BRS et BRSA exercées par l’OFS qu’il convient d’anticiper.
Car l’OFS prendrait le risque de perdre cette reconnaissance de SIEG pour les baux consentis en vue de la production de logements s’il ne prévoit pas de garantir le public cible éligible au BRS et de bien distinguer les deux activités au sein d’un OFS, l’une devant être subsidiaire à l’autre et l’une devant être bien séparée de l’autre en termes de recettes.
En revanche, pour l’heure, le BRSA ne se voit pas reconnaître les caractéristiques d’un SIEG.
Pour rappel, l’analyse de l’ordonnance n°2023-80 du 8 février 2023 est disponible en cliquant ici.
Carole CamusAvocate |
Romain ThoméAvocat associé |
Régularisation des DUP et arrêtés de cessibilité : le Tribunal administratif de Montreuil demande à la Société du Grand Paris de régulariser l’étude d’impact du projet de réalisation de la Ligne 15 Est du métro de Paris
Par deux jugements du 17 juillet dernier, le Tribunal Administratif de Montreuil a fait application des jurisprudences Commune de Grabels et EPA Euroméditerranée à l’occasion de contentieux relatifs aux arrêtés de cessibilité pris afin de permettre la réalisation de la ligne 15 du métro parisien.
Dans le cadre de la création de la ligne 15 Est du réseau complémentaire du réseau de transport public du Grand Paris entre Saint-Denis Pleyel et Champigny centre sur la commune de Bondy, le tribunal administratif de Montreuil a été saisi de plusieurs recours en annulation dirigés contre l’arrêté 21 juillet 2022 du préfet de la Seine-Saint-Denis déclarant cessibles les biens immobiliers à acquérir en vue de la réalisation de cette opération.
Au soutien de leurs conclusions à fin d’annulation de cet arrêté, les requérants ont soulevé, par la voie de l’exception, l’illégalité de l’arrêté portant déclaration d’utilité publique (DUP) de ce projet, édicté le 13 février 2017 et modifié par un arrêté du 20 juin 2018.
Plus particulièrement, les requérants pointaient plusieurs insuffisances de l’étude d’impact produite dans le cadre de l’enquête publique préalable à la DUP, dont les suivantes :
- L’inexactitude du plan de circulation des poids lourds, au regard de l’importance des nuisances induites par les rotations ;
- L’absence d’information des incidences du chantier sur la qualité et la pollution de l’air, alors même que les travaux auront lieu à une dizaine de mètre d’une crèche ;
- L’insuffisance des mesures la séquence « éviter, réduire et compenser » (ERC) en ce qui concerne la protection de la crèche contre le bruit lié à la circulation des poids lourds et au fonctionnement de la centrale à béton, alors que la crèche se situe à environ 10 mètres de l’emprise du chantier de la gare de Bondy, et qu’aucune mesure particulière n’a été édictée pour limiter les nuisances sonores au sein des logements du secteur Montgolfier et au Perreux-sur-Marne.
Ces différents griefs ont été examinés par le tribunal, qui a considéré que l’inexactitude relative au plan de circulation des poids lourds a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population. En effet, le plan de circulation envisagé prévoyait le passage des poids lourds sur un pont soumis à limitation de tonnage des véhicules antérieurement à la déclaration d’utilité publique, rendant ainsi sa mise en œuvre impossible et engendrant, en outre, l’impossibilité de mettre en œuvre le plan d’approvisionnement et d’évacuation des déblais.
Concernant l’absence d’information sur la qualité de l’air, le tribunal juge également que cette omission a eu pour effet de nuire à l’information complète de la population, notamment du fait qu’une crèche, établissement sensible, est située à une dizaine de mètres du chantier.
S’agissant enfin de l’insuffisance des mesures ERC, le tribunal porte une appréciation fine sur le contexte et l’environnement direct du chantier et relève qu’« il est constant qu’aucune mesure spécifique à la crèche, qui, comme il a été dit, est située à environ 10 mètres de l’emprise du chantier, ne figure dans la synthèse des mesures pour éviter, réduire ou compenser les effets négatifs notables. (…) Compte tenu de la vulnérabilité des jeunes enfants et de l’impact potentiel sur leur développement d’une exposition durable à un fort niveau de bruit, Mme E est fondée à soutenir que les mesures de la séquence éviter – réduire – compenser envisagées par le maître d’ouvrage s’agissant des nuisances sonores du projet au niveau de la crèche sont manifestement insuffisantes. »
Par conséquent, après avoir rejeté l’ensemble des autres moyens des requêtes et rappelé le caractère d’utilité publique du projet, le tribunal reprend les considérants de principe de la jurisprudence Commune de Grabels et prescrit les modalités de régularisation de l’arrêté attaqué.
Il demande ainsi à la Société du Grand Paris :
- De réaliser un plan précis de circulation des poids lourds chargés de l’approvisionnement et de l’évacuation des déblais du chantier de la gare de Bondy prenant en considération les limitations et interdictions de circulation des poids-lourds applicables sur les axes routiers empruntés eu égard à leur tonnage ;
- S’agissant de la pollution de l’air, d’insérer dans l’étude d’impact des données relatives aux incidences de la centrale à béton et des flux de poids-lourds sur les axes routiers locaux au sein du secteur de la gare de Bondy,
- De déterminer des mesures suffisantes et adaptées de la séquence « éviter, réduire, compenser » s’agissant des nuisances sonores à proximité immédiate de la crèche.
Le tribunal prescrit l’insertion de ces mesures dans l’étude d’impact, laquelle devra en outre être soumise à une nouvelle procédure de consultation du public.
Compte tenu des mesures de régularisation qu’il fixe, le tribunal sursoit à statuer et demande à la Société du Grand Paris de lui notifier ces mesures dans un délai de douze mois.
Valentine BosquetJuriste |
Romain ThoméAvocat associé |
Jugements commentés :
• TA Montreuil, 2e ch., 17 juill. 2023, n° 2214218
• TA Montreuil, 2e ch., 17 juill. 2023, n° 2215946
Références :
• Conseil d’État, 2ème – 7ème chambres réunies, 09/07/2021, n° 437634
• Conseil d’État, 6ème chambre, 25/07/2022, n° 462681
Occupation du domaine privé : le Juge administratif est compétent pour statuer sur les recours des tiers (exemple du bail emphytéotique) (CE, 28 juin 2023, n°456291)
Le Conseil d’Etat confirme que le juge administratif demeure compétent pour statuer sur les recours des tiers à l’encontre des décisions relatives à l’occupation du domaine privé. Le juge judiciaire est en revanche compétent, en principe, s’agissant des recours des preneurs.
La décision commentée s’inscrit dans une dynamique jurisprudentielle récente relative à la répartition des compétences juridictionnelles en matière de gestion du domaine privé des personnes publiques.
En effet, par deux arrêts, (13 mars 2023, n° 4260, SARL BOUCHERIE CANNOISE ; 13 mars 2023, n° 4266, Commune de PHALSBOURG), le Tribunal des conflits rappelait que :
- L’acte d’une personne publique, qu’il s’agisse d’une délibération ou d’une décision, qui modifie le périmètre ou la consistance de son domaine privé ne se rapporte pas à la gestion de ce domaine, de sorte que la contestation de cet acte ressortit à la compétence du juge administratif ;
- Les actes de disposition du domaine, public ou privé, d’une personne publique ressortissent de la compétence du juge administratif. Ils concernent essentiellement les délibérations des collectivités relatives à la vente, l’achat et le refus de la collectivité de vendre ou d’acheter, qui sont contestées par des tiers à un éventuel contrat (Cf par ex. CE, 2 avril 2015, n° 364539 ; CE, 15 mars 2017, n°393407 ; TC, 15 mai 2017, n°4079) ;
- Les actes de gestion du domaine privé d’une personne publique, c’est-à-dire ceux par lesquels le gestionnaire du domaine privé initie, conduit ou termine une relation contractuelle avec une personne déterminée, dont l’objet est la valorisation ou la protection du domaine privé, ressortissent de la compétence du juge judiciaire (TC, 18 juin, n°3241), sauf s’ils contiennent des clauses exorbitantes (TC, 22 novembre 2010, n°3764, BRASSERIE DU THEATRE).
Le Conseil d’Etat a précisé, par sa décision « Commune de Valbonne » du 7 mars 2019 (n°417629) que la juridiction administrative reste compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation de la délibération d’un conseil municipal autorisant la conclusion d’une convention ayant pour objet la mise à disposition d’une dépendance du domaine privé communal et de la décision du maire de la signer.
Par sa décision du 28 juin 2023, le Conseil d’Etat a fait application de cette jurisprudence pour la contestation par un tiers d’une promesse de bail emphytéotique.
Une société A était titulaire d’un contrat de fortage conclu avec une commune pour l’exploitation d’une carrière sur une parcelle communale relevant du domaine privé. Apprenant que la commune avait conclue avec une société B une promesse de bail emphytéotique portant sur la même parcelle, et que cette promesse avait fait l’objet d’une prorogation assortie d’une mise à disposition du site pour permettre à la société B d’y installer des équipements, la société A a demandé au Tribunal administratif de Marseille d’annuler la délibération ayant approuvé la prorogation de la promesse de bail.
Le Tribunal s’étant estimé incompétent pour connaître de la demande, la société A a interjeté appel du jugement. La Cour administrative d’appel de Marseille a décidé d’annuler le jugement, considérant que la juridiction administrative est compétente pour connaître de la demande formée par un tiers tendant à l’annulation de la délibération autorisant la conclusion d’une convention ayant pour objet la mise à disposition d’une dépendance du domaine privé communal.
Saisi d’un pourvoi en cassation formé par la société bénéficiaire de la promesse, le Conseil d’Etat a confirmé la solution retenue par la Cour administrative d’appel.
Guillaume MériauxAvocat |
Sort du bail rural en cas d’intégration du bien dans le domaine public
Commentaire de CE, 5e et 6e chambres réunies, 7 juin 2023, n°447797 – Publié au recueil[1]
Dans cet arrêt le Conseil d’Etat se prononce sur les conséquences de l’intégration dans le domaine public d’un bien faisant l’objet d’un bail rural. Cette affaire portait plus spécifiquement sur un bien relevant de la propriété du Conservatoire du Littoral, Etablissement Public Administratif de l’Etat.
- D’abord le Conseil d’Etat précise que le bail rural initial constitue, jusqu’à sa dénonciation, un titre d’occupation du domaine public faisant obstacle à ce que le preneur à bail soit expulsé ou poursuivi au titre d’une contravention de grande voirie pour s’être maintenu sans droit ni titre sur le domaine public.
- Ensuite il précise qu’en revanche, une fois le bien incorporé au domaine public, le contrat ne peut conserver la nature de bail rural dès lors qu’il comporte des « clauses incompatibles avec la domanialité publique ».
Par ailleurs le Conseil d’Etat rappelle que le Conservatoire du littoral peut, après incorporation dans le domaine public des terres mises en valeur, dénoncer le bail rural et proposer, sur le fondement de l’article L. 322-9 du Code de l’environnement, la signature d’une convention d’usage permettant un usage des terres compatible avec les missions qui lui sont confiées. En l’absence de dénonciation du bail rural, et au plus tard jusqu’à sa prochaine échéance, le Conservatoire peut également « laisser l’occupant, en vertu du titre dont il dispose et qui procède du bail initial, poursuivre à titre précaire cette occupation associée à une exploitation agricole, en se fondant sur les clauses de ce bail qui ne sont pas incompatibles avec la domanialité publique et les missions confiées au conservatoire ».
Thibaud Taillet, Avocat | Sarah Heitzmann, Avocate associée |
[1] CE, 5e et 6e chambres réunies, 7 juin 2023, n°447797 – Publié au recueil
OBJECTIF(S) ZAN : Une seconde proposition de loi pour mieux décliner le ZAN dans les territoires
Après la proposition de loi sénatoriale de décembre 2022, adoptée par le Sénat en première lecture le 16 mars 2023, une autre proposition de loi de février 2023 émanant de l’Assemblée nationale[1] intègre des mesures pour mieux accompagner les élus locaux dans la mise en œuvre du Zéro artificialisation nette.
Le 14 décembre 2022, la mission conjointe de contrôle relative à la mise en application des objectifs du ZAN, créée par le Sénat, a déposé devant ce dernier une proposition de loi visant à « faciliter la mise en œuvre du ZAN au cœur des territoires »[2]. Deux mois plus tard, le 14 février 2023, une autre proposition de loi a été déposée devant l’Assemblée nationale, visant à « renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols », et ainsi à rassurer certains élus locaux pour qui le ZAN signifie la fin du développement territorial.
Si cette proposition de loi se veut plus précise dans son objectif que la proposition sénatoriale, elles se recoupent sur un certain nombre de points.
L’article 1er prévoit ainsi l’institution d’une « garantie rurale », c’est-à-dire une enveloppe minimale d’artificialisation pour chaque commune rurale peu dense ou très peu dense et dotée d’un document d’urbanisme à l’échelle intercommunale (PLUi), égale à 1 % de la surface urbanisée de la commune. Cette proposition est comparable à la garantie d’un hectare par commune rurale mentionnée dans la proposition sénatoriale.
Aussi, tout comme la proposition sénatoriale qui prévoit un « compte foncier national », l’article 2 vise à imputer à l’échelle nationale les projets d’envergure nationale ou européenne qui présentent « un intérêt général majeur ». L’artificialisation des sols ou la consommation des espaces engendrées par ces projets ne seraient donc imputées qu’à l’échelle nationale, et non pas aux échelons territoriaux dans lesquels ces projets seraient déployés.
Au niveau opérationnel, l’article 3 prévoit un « sursis à statuer ZAN », afin de suspendre la délivrance d’autorisations d’urbanisme pour des projets qui contreviendraient directement aux objectifs ZAN d’une commune ou d’un EPCI, avant que son document d’urbanisme n’ait pu être révisé. Ce sursis à statuer était également prévu par la proposition de loi sénatoriale.
La proposition de février 2023 comporte également des volets plus novateurs notamment sur la transmission aux collectivités des indicateurs de consommation d’espaces. Les collectivités pourront ainsi solliciter le préfet sur l’opposabilité des données. Ensuite, en cas d’absence de territorialisation de l’objectif ZAN au sein du SRADDET dans le délai de 30 mois établi par loi 3DS, il est prévu que les préfets puissent prendre des mesures palliatives. Enfin, l’article 6 prévoit la remise d’un rapport pour mieux diagnostiquer des espaces d’amélioration technique du dispositif de réduction de l’artificialisation. L’objectif de ce dernier article est de mieux préparer, à horizon 2027‑2031, les évolutions futures des documents de planification et d’urbanisme en évitant aux élus de devoir systématiquement revoir leurs documents en engageant des procédures lourdes et coûteuses.
La proposition de loi sénatoriale a été adopté en première lecture le 16 mars et est en cours de discussion devant l’Assemblée nationale. Si ces propositions de loi sont similaires, le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, reste toutefois sceptique sur la possibilité de parvenir à un accord entre députés et sénateurs, estimant que les dispositions adoptées par le sénat, à la suite d’une première lecture du 16 mars 2023, ouvraient « trop largement la porte » à l’artificialisation[3].
[1] « Proposition de loi n°854 visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols », Assemblée Nationale, 15 février 2023
[2] « Proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires » adoptée par le Sénat le 16 mars 2023 et en cours d’examen à l’Assemblée Nationale
[3] « « Zéro artificialisation nette » : le Sénat adopte sa proposition de loi retouchée », 7 mars 2023, Banque des territoire-Localtis
OBJECTIF(S) ZAN – Quels outils pour les collectivités ?
Si la proposition de loi sénatoriale visant à « faciliter la mise en œuvre du ZAN au cœur des territoires »[1], actuellement en cours d’examen à l’Assemblée Nationale, souhaite instaurer de nouveaux outils pour atteindre le ZAN, il est important de noter que les collectivités disposent déjà d’une panoplie d’outils pour y parvenir.
La mise en œuvre concrète du ZAN renforce encore la nécessité pour les territoires de maîtriser leur développement par la mise en œuvre de véritables stratégies foncières. Pour ce faire, plusieurs dispositifs juridiques peuvent être activés. Certains existaient avant la mise en place du ZAN par la loi climat et résilience du 22 août 2021, certains ont été renforcés par cette loi, tandis que d’autres ont été créés.
D’abord, et sans surprise, le PLU, est l’outil juridique essentiel pour favoriser une densification et une renaturation s’inscrivant dans l’optique ZAN. Ce dernier, par ses orientations d’aménagement et de programmation peut « définir les actions et opérations nécessaires pour mettre en valeur l’environnement, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l’insalubrité, permettre le renouvellement urbain, favoriser la densification et assurer le développement de la commune »[2]. Favoriser la densification passe par exemple par la mise en place, au sein du règlement, d’exceptions aux règles générales du PLU. Par exemple, en déterminant « des secteurs situés dans les zones urbaines à l’intérieur desquels un dépassement des règles relatives au gabarit, à la hauteur et à l’emprise au sol est autorisé pour permettre l’agrandissement ou la construction de bâtiments à usage d’habitation »[3].
Ces orientations d’aménagement et de programmation pourront, dans le respect de la compatibilité imposée par rapport au Schéma de cohérence territoriale, « identifier des zones préférentielles pour la renaturation et préciser les modalités de mise en œuvre des projets de désartificialisation et de renaturation dans ces secteurs. Ces zones ou secteurs peuvent être délimités dans le ou les documents graphiques »[4].
En outre, si le PLU est considéré comme trop contraignant, l’autorité compétente pour délivrer les autorisations d’urbanisme peut accorder des dérogations relatives à une ou plusieurs règles du plan local d’urbanisme. Le Maire ou le Président de l’EPCI peut par exemple « autoriser les constructions faisant preuve d’exemplarité environnementale à déroger aux règles des plans locaux d’urbanisme relatives à la hauteur, afin d’éviter d’introduire une limitation du nombre d’étages par rapport à un autre type de construction »[5]. Il peut encore, en cas de travaux réalisés sur une friche, « déroger aux règles relatives au gabarit, dans la limite d’une majoration de 30 % de ces règles ».
Par ailleurs, et toujours dans l’optique de densification du ZAN, il est vivement conseillé aux collectivités de maîtriser le devenir des secteurs stratégiques, en renouvellement ou en extension, par la mise en œuvre de véritables stratégies foncières, intégrant ou non un volet acquisition. Celles-ci pourront reposer sur l’utilisation combinée de multiples outils opérationnels venant en complément des PLU, tels que les périmètres de ZAD, les périmètres de DPU et de DPU renforcé, la définition de périmètres de ZAC, notamment multisite, le recours à la procédure d’expropriation en vue de la création de réserves foncières …
A ces divers outils, la proposition de loi sénatoriale visant à « faciliter la mise en œuvre du ZAN au cœur des territoires »[6] souhaite ajouter quelques outils supplémentaires tel qu’un droit de préemption ZAN pour préempter des terrains présentant de forts enjeux en matière de recyclage foncier ou de renaturation ; ainsi qu’un sursis à statuer spécifique, permettant à une commune ou un EPCI compétent de suspendre l’octroi d’un permis qui contreviendrait aux objectifs ZAN.
[1] Proposition de loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, adoptée en première lecture le 16 mars 2023
[2] C.urb., art. L.151-7
[3] C.urb., art. L.151-28
[4] C.urb., art. R.151-7
[5] C.urb., art. L.152-5-2
[6] « Proposition de loi n°854 visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols », Assemblée Nationale, 15 février 2023
OBJECTIF(S) ZAN – La déclinaison territoriale
La Loi climat et résilience du 22 août 2021 prévoit les modalités d’intégration et de déclinaison de l’objectif ZAN au sein des documents de planification et d’urbanisme.
La loi climat et résilience du 22 août 2021 qui pose à l’échelle nationale les objectifs « d’absence de toute artificialisation nette des sols » et de division par deux du rythme de consommation d’espaces d’ici 2031, qui caractérisent le « ZAN », prévoit, à l’article 191, que ces objectifs doivent être « appliqués de manière différenciée et territorialisée » et laisse le soin aux documents de planification et d’urbanisme de les transposer au sein des territoires.
C’est d’abord au sein des documents de planification que sont les SRADDET, SDRIF, SAR et PADDUC que doivent être intégrés ces objectifs. Ils doivent tous définir une trajectoire Zéro Artificialisation Nette et y inclure l’objectif de réduction du rythme d’artificialisation par tranche de 10 ans.
Ensuite, c’est au sein des documents d’urbanisme que sont les SCOT, PLU ou Cartes communales que les objectifs doivent être déclinés. Au sein du SCOT, l’objectif doit être notamment intégré dans le Projet d’Aménagement Stratégique (PAS) et peut être décliné par secteur au sein du DOO. Au sein des PLU, l’objectif doit être intégré dans les PADD d’ici 2027. Les PLU devront bien entendu être compatibles avec les SCOT.
Il est également prévu que l’ouverture à l’urbanisation d’un nouvel espace, c’est-à-dire une zone A (agricole), N (naturelle et forestière), devra impérativement être précédée de la réalisation d’une étude de densification des zones déjà urbanisées. Cette étude permettra d’évaluer les potentiels de densification des zones déjà urbanisées. C’est seulement sous la réserve que cette étude conclut à l’absence de potentiel de densification, qu’une nouvelle zone pourra être urbanisée. Les PLU ont aussi l’obligation de définir un échéancier prévisionnel d’ouverture à l’urbanisation des zones à urbaniser au sein de leurs orientations d’aménagement et de programmation (OAP)[1]. Si actuellement, entre les différents documents de planification et le SCOT, la loi climat et résilience envisage un rapport de compatibilité, une proposition de loi visant à « faciliter la mise en œuvre des objectifs ZAN au cœur des territoires », adoptée par le Sénat en première lecture le 17 mars 2023, prévoit de mettre en place un rapport de prise en compte[2].
L’intégration de ces objectifs est encadrée dans le temps. Le délai initial défini par la Loi Climat et résilience du 22 août 2021, a été rallongé de 6 mois par la loi 3DS. Les objectifs doivent être inscrits au sein des documents de planification d’ici 2024, au sein des SCOT d’ici 2027 et au sein des PLU d’ici 2028. La proposition de loi précitée propose à nouveau de rallonger chacun de ces délais d’un an[3].
En cas de non-intégration et adaptation des objectifs différentes sanctions sont prévues en fonction des documents. Pour les documents de planification, s’ils n’intègrent pas les objectifs, le SCOT ou le PLU en l’absence de SCOT, doit le faire. Pour les documents d’urbanisme, si le SCOT n’intègre pas les objectifs, la loi climat et résilience prévoit une suspension de toute ouverture à urbanisation au sein du territoire concerné. Si c’est le PLU ou la carte communale qui n’intègre pas les objectifs, aucune autorisation d’urbanisme ne peut être délivrée dans les zones AU du PLU et dans les secteurs constructibles de la carte communale.
[1]Article 199 de la loi climat et résilience du 22 aout 2021
[2]« Proposition de loi n°854 visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols »,
[3]« Proposition de loi n°854 visant à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols »,
OBJECTIF(S) ZAN – Les définitions règlementaires
La Loi climat et résilience du 22 août 2021 a renvoyé au gouvernement le soin de préciser, par décret, les conditions d’application des notions clés entourant le ZAN. Ces définitions règlementaires ont néanmoins soulevé de vives critiques, conduisant à leur réécriture.
La loi Climat et résilience du 22 août 2021, après avoir défini les notions d’artificialisation et d’artificialisation nette, de sol artificialisé et de renaturation, a laissé le soin au pouvoir règlementaire de fixer, par décret, les conditions d’application de ces notions, notamment en établissant « une nomenclature des sols artificialisés ainsi que l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme »[1].
Publié le 29 avril 2022[2], le décret relatif « à la nomenclature de l’artificialisation des sols » précise les catégories de surfaces qui peuvent être considérées comme artificialisées ou non artificialisées. Cette nomenclature est codifiée à l’annexe de l’article R101-1 du code de l’urbanisme.
Selon ce décret, ces précisions ne concernent que l’objectif ZAN à l’horizon 2050 et non l’objectif intermédiaire de réduction du rythme de consommation d’espaces d’ici à 2031[3].
Le décret définit également les critères au sein desquels l’artificialisation nette doit être établie. Il dispose que le classement en tant que sol artificialisé ou non « est effectué selon l’occupation effective du sol observée, et non selon les zones ou secteurs délimités par les documents de planification et d’urbanisme.
L’occupation effective est mesurée à l’échelle de polygones dont la surface est définie en fonction de seuils de référence précisés par arrêté du ministre chargé de l’urbanisme selon les standards du Conseil national de l’information géolocalisée ».
Ce seront ces polygones qui détermineront le périmètre dans lequel devra être menée la désartificialisation d’un sol à la suite de l’artificialisation d’un autre. Ces polygones sont en cours de mise en place par le ministre chargé de l’urbanisme.
Ce décret, ainsi qu’un deuxième publié le même jour relatif « aux objectifs et aux règles générales en matière de gestion économe de l’espace et de lutte contre l’artificialisation des sols du Sraddet« , ont été vivement critiqués lors de leur publication. Selon l’Association des Maires de France, ces décrets « accentuent les fractures territoriales en opposant les projets entre eux et sont contre-productifs », ils « ont été publiés dans la précipitation, sans étude d’impact (…) dans une approche de re-centralisation rigide »[4]et ils « décourageraient les initiatives de renaturation en ville »[5]. Une autre conséquence du décret relatif à la nomenclature est de considérer les jardins comme des surfaces artificialisées puisque ce sont, selon le 5° de la nomenclature, des « surfaces à usages résidentielles […] dont les sols sont couverts par une végétation herbacée », ce qui aura un impact négatif car pénalisera la renaturation et n’incitera pas les constructeurs à préserver les îlots végétaux au sein de leurs projets futurs.
Pour ces raisons et pour « purger ces décrets de toute illégalité potentielle »[6], l’AMF a déposé deux recours à leur encontre devant le Conseil d’Etat le 22 juin 2022 conduisant le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, à réécrire ces décrets. Réécriture qui est toujours en cours.
Face à cela, le Sénat, dans une proposition de loi déposée le 14 décembre 2022 et visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au cœur des territoires, a même proposé « de comptabiliser les parcs et jardins comme surfaces non artificialisées »[7].