Actualité jurisprudentielle : le Conseil d’Etat confirme que le vice de procédure affectant une DUP ou un arrêté de cessibilité peut être régularisé

Nul doute que les deux décisions rendues les 21 et 25 juillet 2022 par le Conseil d’Etat seront de nature à retenir l’attention des aménageurs et porteurs de projets publics, mais également des spécialistes du contentieux administratif. Le Conseil d’Etat, à quelques jours d’intervalle, confirme tout d’abord la faculté de régularisation d’un arrêté de DUP […]

Publié le 05/09/2022

Nul doute que les deux décisions rendues les 21 et 25 juillet 2022 par le Conseil d’Etat seront de nature à retenir l’attention des aménageurs et porteurs de projets publics, mais également des spécialistes du contentieux administratif.

Le Conseil d’Etat, à quelques jours d’intervalle, confirme tout d’abord la faculté de régularisation d’un arrêté de DUP en raison du vice affectant l’avis de l’autorité environnementale (CE, 2ème 7ème chambres réunies, 21 juillet 2022, « Commune de Grabels » n°437 634, Publiée au recueil Lebon) et étend ensuite cette faculté de régulation aux arrêtés de cessibilité (CE, 6ème chambre, 25 juillet 2022, EPA Euroméditerranée, n°462 681).

Une solution bienvenue compte tenu de l’impact important et durable de ce vice de procédure sur les opérations complexes

Le moyen tiré de l’absence d’indépendance fonctionnelle de l’autorité environnementale par rapport au préfet, en contradiction avec les exigences d’objectivité issues des directives 2001/42/CE du 27 juin 2001 et 2011/92/UE du 13 décembre 2011, a donné lieu à plusieurs décisions du Conseil d’Etat[1] rappelant cette exigence de séparation fonctionnelle[2].

Appliquée au contentieux des déclarations d’utilité publique, cette exigence d’indépendance fonctionnelle a conduit à fragiliser durablement de nombreuses opérations pour lesquels l’arrêté de DUP avait été prononcé avant la réforme issue de la loi Energie Climat[3].

Les implications concrètes et opérationnelles de ce risque contentieux résultent notamment de ce que le vice de procédure affectant une DUP est susceptible d’être invoqué à l’appui d’un recours contre les arrêtés de cessibilité pris sur son fondement[4], lesquels arrêtés peuvent être prononcés pendant la durée de validité de la DUP (soit jusqu’à 10 ans en cas de prorogation). Rappelons que cette faculté d’exciper de l’illégalité de la DUP à l’encontre des arrêtés de cessibilité ultérieurs, en soulevant un vice de forme ou de procédure a été confirmée par le Conseil d’Etat par une décision du 4 août 2021[5], et ce en dépit de la décision d’assemblée du 18 mai 2018 ayant limité l’étendue de l’exception d’illégalité des actes réglementaires[6] (la DUP n’étant pas un acte réglementaire mais un acte sui generis).

Une faculté de régularisation pragmatique et justifiée, conforme à l’évolution de l’office du juge administratif.

Par une première décision « Commune de Grabels » du 9 juillet 2021[7], le Conseil d’Etat avait :

  • d’une part retenu la pertinence du moyen tiré de l’irrégularité de l’avis de l’autorité environnementale en raison l’absence d’autonomie de la DREAL à l’égard du préfet du département compétent pour édicter l’arrêté de DUP
  • d’autre part, et c’est tout l’intérêt de cette première décision, ouvert la possibilité de régularisation de ce vice de procédure.

Le Conseil d’Etat avait, par cet arrêt avant dire droit, et en s’inspirant de l’avis émis sur ce point le 27 septembre 2018[8], précisé les modalités de régularisation, laquelle nécessite l’intervention d’une décision corrigeant le vice dont est entaché l’arrêté attaqué.

A cette fin, le Conseil d’Etat rappelle que le vice de procédure, « dont l’existence et la consistance sont appréciées au regard des règles applicables à la date de l’arrêté attaqué, doit en principe être réparé selon les modalités prévues à cette même date ». Anticipant d’éventuelles illégalités des dispositions alors applicables, le Conseil d’Etat précise qu’il appartient en ce cas au juge de « rechercher si la régularisation peut être effectuée selon d’autres modalités, qu’il lui revient de définir en prenant en compte les finalités poursuivies par les règles qui les ont instituées et en se référant, le cas échéant, aux dispositions en vigueur à la date à laquelle il statue ».

En conséquence, le Conseil d’Etat a donc prévu que le vice de procédure pourrait être réparé par un avis de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE), et non de l’AE compte tenu de l’illégalité des dispositions applicables à la date de l’arrêté attaqué, prévoyant cet avis.

La confirmation concrète de l’accomplissement des formalités de régularisation

Dans sa nouvelle décision « Commune de Grabels » du 21 juillet 2022 (CE, 2ème 7ème chambres réunies, 21 juillet 2022, n°437 634, Publiée au recueil Lebon), le Conseil d’Etat confirme que ce vice est effectivement régularisable, en dépit des doutes parfois émis à ce sujet par les praticiens.

En l’espèce, le Préfet, en sollicitant et en obtenant auprès de la MRAE un nouvel avis sur l’évaluation environnementale du projet et en réalisant une publication par voie électronique du 31 janvier au 2 mars 2022, a pu, ainsi que le constate le Conseil d’Etat dans cet arrêt, régulariser l’arrêté litigieux.

Cet arrêt précise en outre qu’une fois l’arrêt avant dire droit rendu, seuls des moyens dirigés contre la mesure de régularisation notifiée au juge peuvent être invoqués devant ce dernier.

Ainsi, seuls les vices propres à cette régularisation, ou les moyens contestant que ce nouvel avis permette de régulariser le vice de procédure ou soutenant que de nouveaux vices, fondés sur des éléments révélés par la procédure de régularisation, peuvent être utilement invoqués.

Le Conseil d’Etat évite ainsi qu’à la faveur de cette procédure de régularisation, un nouveau débat contentieux ne se développe. Un point d’équilibre paraît ainsi s’établir entre la nécessité d’un accès au juge et l’impératif de sécurité juridique nécessaire à la conduite de telles opérations.

Une faculté de régularisation étendue aux arrêtés de cessibilité

La solution issue des jurisprudences « Commune de Grabels » est intéressante en pratique et le sera d’autant plus que par un arrêt rendu 4 jours plus tard, le Conseil d’Etat a étendu cette faculté de régularisation au contentieux des arrêtés de cessibilité, lorsque ceux-ci étaient fondés sur une DUP affectée du même vice de procédure (CE, 6ème chambre, 25 juillet 2022, EPA Euroméditerranée, n°462681).

Alors que la Cour administrative d’appel de Marseille avait estimé « qu’il ne résulte d’aucune disposition ni d’aucun principe qu’il appartiendrait au juge de la cessibilité de parcelles dont l’expropriation a été déclarée d’utilité publique de rechercher si une régularisation appropriée d’un vice entachant la DUP est possible »[9], le Conseil d’Etat, saisi d’un pourvoi et d’une demande de sursis à exécution, censure cet arrêt ainsi que l’arrêt avant dire-droit et confirme que, même dans le cadre d’un contentieux à l’encontre d’un arrêté de cessibilité, le moyen tiré de l’illégalité de la DUP, invoqué par voie d’exception, peut donner lieu à une régularisation.

Reprenant les principes issus de la jurisprudence Commune de Grabels, le Conseil ouvre ainsi aux expropriants la possibilité de régulariser leurs arrêtés de cessibilité, en réparant le vice de procédure affectant la DUP et tiré une fois encore de l’absence d’indépendance fonctionnelle de l’autorité environnementale avant la création des MRAE.

Une telle solution jurisprudentielle remédie à une situation d’insécurité juridique aux conséquences pratiques et opérationnelles potentiellement importantes, les transferts de propriété et prises de possession reposant sur ces arrêtés pouvant être remises en cause.

La régularisation requiert bien entendu le respect de certaines exigences, mais cette approche pragmatique ne pourra qu’être saluée par les porteurs de projets d’utilité publique.

 

Par Romain THOME, avocat associé, spécialiste en droit immobilier, droit de l’expropriation

 

[1] CE, 5 février 2020, n° 425451 ; CE Sect., 25 mars 2020, n° 427556 ; CE Sect., 3 avril 2020, n° 427122

[2] CE, 6 décembre 2017, ,°400559 : si les dispositions de la directive « ne font pas obstacle à ce que l’autorité publique compétente pour autoriser un projet ou en assurer la maîtrise d’ouvrage soit en même temps chargée de la consultation en matière environnementale, elles imposent cependant que, dans une telle situation, une séparation fonctionnelle soit organisée au sein de cette autorité, de manière à ce qu’une entité administrative, interne à celle-ci, dispose d’une autonomie réelle, impliquant notamment qu’elle soit pourvue de moyens administratifs et humains qui lui sont propres, et soit ainsi en mesure de remplir la mission de consultation qui lui est confiée et de donner un avis objectif sur le projet concerné »

[3] Loi n°2019-1147 du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat et décret d’application n°2020-844 du 3 juillet 2020 relatif à l’autorité environnementale et à l’autorité chargée de l’examen au cas par cas

[4] CE, 12 octobre 2018, n°417016 : « l’arrêté de cessibilité, l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel il a été pris et la ou les prorogations dont cet acte a éventuellement fait l’objet constituent les éléments d’une même opération complexe »

[5] CE, 4 août 2021, Commune de Mitry-Mory, n°429800

[6] CE, 18 mai 2018, Fédération des finances et affaires économiques de la CFDT, n°414583

[7] CE, 9 juillet 2021 Commune de Grabels, n°437 634

[8] CE, Avis n°420119, 27 septembre 2018

[9] CAA Marseille, 22 février 2022, SCI Les Marchés Méditerranéens, n°19MA05604

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